Sous l’Occupation, la France n’a pas seulement perdu ses frontières et son orgueil : elle a aussi vu partir ses plus grands crus vers Berlin. Entre 1940 et 1944, tandis que les convois militaires traversaient une nation défaite, un autre butin, moins bruyant mais tout aussi symbolique, était méthodiquement acheminé vers le Reich : le vin français.
Bordeaux, Cognac, Bourgogne, Champagne… Derrière les caves verrouillées des châteaux et les portes dissimulées des maisons de négoce, les soldats allemands menaient une guerre parallèle : celle du goût, du prestige, du pillage œnologique. Et dans cette guerre-là, les Français perdaient aussi.
Bordeaux-Charente : une razzia en règle
Dès l’été 1940, les autorités d’occupation mettent la main sur les stocks des grandes maisons bordelaises. Le vin n’est pas seulement une marchandise : c’est une ressource stratégique, un symbole culturel à neutraliser, un plaisir à capturer. Les soldats de la Wehrmacht, les dignitaires nazis, les officiers de la SS se battent moins dans les tranchées que dans les caves de Margaux, Saint-Émilion ou Cognac.
Dans la Charente, le cognac devient une obsession allemande. L’armée d’occupation achète – ou plutôt, impose l’achat – de tonnes de fûts à prix « fixé », en réalité imposé, vidé de tout rapport de force commercial. Des centaines de milliers de litres quittent la région direction l’Allemagne, souvent sous couvert d’accords commerciaux. Une économie de façade. Un racket légalisé.
Une France qui trinque sans boire
La grande ironie de cette période, c’est que les Français produisaient, mais ne consommaient plus leurs propres vins. Tandis que les stocks fondaient sous les exigences de l’occupant, la population civile subissait pénuries et restrictions. Le vin quotidien se raréfiait. Le vin noble disparaissait. Il fallait cacher, dissimuler, bétonner les caves pour préserver ce qui pouvait l’être.
Certaines figures de la résistance viticole, comme Maurice Dufour à Cognac ou quelques négociants anonymes à Bordeaux, mirent en place des systèmes de dilution, de fausse étiquetage, ou de “vin fantôme”, enregistrés mais introuvables. Une forme de sabotage doux, où la ruse paysanne répondait à l’avidité militaire.
Le goût du pouvoir
Pourquoi cet acharnement allemand sur le vin ? Parce que le vin français n’est pas un produit comme un autre : il est un capital symbolique. Il incarne un art de vivre, un prestige culturel, un raffinement que le régime nazi voulait à la fois consommer et dominer.
Boire un Margaux 1934 dans un salon berlinois, c’était affirmer une victoire esthétique. Faire venir du Cognac par wagons entiers, c’était réécrire l’histoire par la bouche. Les caves de la Wehrmacht devinrent des lieux de butin, de pouvoir et de vanité.
Conclusion : une mémoire à décanter
Aujourd’hui, rares sont ceux qui se souviennent que le vin aussi fut une victime de l’Occupation. Non pas en tant que simple denrée, mais comme fragment de l’âme française, subtilisé, déplacé, humilié. Une guerre culturelle menée à coups de transactions biaisées, d’achats forcés, de silence complice.
Mais comme tout grand cru, cette mémoire revient à la lumière, lentement, patiemment. Elle rappelle que derrière chaque bouteille, chaque millésime, chaque cave silencieuse, il y a une histoire de résistance, de perte, et parfois de revanche.
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