C’est une ritournelle bien connue dans les coulisses feutrées des studios de création : une jeune marque lance une pièce originale — une coupe subtile, un motif singulier, une idée lumineuse. Quelques mois plus tard, elle la retrouve, à peine modifiée, dans les rayons d’une grande enseigne de luxe ou de fast-fashion. Le plagiat dans la mode n’a rien de nouveau, mais son asymétrie actuelle a quelque chose de profondément dérangeant : ce sont les géants qui copient les petits, dans une impunité quasi totale.
La créativité sans défense
Car s’il existe un droit de la propriété intellectuelle, il se heurte à une réalité cruelle : la mode échappe, dans sa grande majorité, aux filets de la protection juridique. Un vêtement, à moins d’être breveté (ce qui est rare), est difficilement protégeable. Le style n’est pas une œuvre, la silhouette n’est pas une invention, et le tissu juridique reste, lui, désespérément mince.
Pour les jeunes marques, faire valoir leurs droits revient à gravir l’Everest en baskets. Il faut prouver l’antériorité, l’originalité, la copie flagrante — le tout face à des multinationales aux services juridiques aussi affûtés que les ciseaux d’un modéliste italien. Engager un avocat spécialisé coûte cher. Très cher. Or, dans un secteur où chaque euro compte, la plupart des petits créateurs préfèrent se taire que de s’endetter pour une bataille presque perdue d’avance.
L’esthétique comme terrain de prédation
Les grandes maisons, pourtant souvent célébrées pour leur audace créative, n’hésitent plus à lorgner sur les trouvailles des marques émergentes. On les retrouve sur des podiums milanais, dans des vitrines à Tokyo ou dans les capsules de marques dites “inclusives” dont l’inspiration sonne, au fond, bien familière. Et lorsqu’un jeune créateur ose dénoncer la copie, la réponse tombe, sèche, via un communiqué : coïncidence stylistique ou tendance partagée.
Il ne s’agit pas seulement d’une question de droit, mais de rapport de force. Le capital culturel des petites marques est devenu un réservoir dans lequel les grandes puisent, parfois sans vergogne. C’est là que se joue aujourd’hui une forme insidieuse de violence économique : un effacement progressif de la signature des petits créateurs sous le poids de la machine industrielle.
Résister autrement
Certains réagissent en exposant publiquement les copies sur les réseaux sociaux, à défaut de pouvoir les contester en justice. D’autres choisissent la discrétion, de peur d’être blacklistés d’un milieu où les puissants savent se protéger. Quelques initiatives émergent, à l’image de collectifs de designers mutualisant les frais juridiques, ou de plateformes documentant les cas de copie. Mais ces efforts restent marginaux.
Alors que l’industrie de la mode prétend valoriser la création, la diversité et l’indépendance, elle continue d’écraser ses talents les plus fragiles — ceux-là mêmes qui, souvent, ont fait émerger les tendances que d’autres revendiquent.
C’est l’un des grands paradoxes de notre époque : la culture de l’originalité survit sur un lit d’appropriations. Et dans ce théâtre d’apparences, l’élégance n’est pas toujours là où on l’attend.
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