Les poussettes se font plus rares dans les cafés de Berlin, les crèches ferment à Palerme, les maternités déclinent à Bruxelles. Partout en Europe, un même constat s’impose avec la régularité d’un verdict : les gens font moins d’enfants. Le Vieux Continent vieillit, se regarde dans le miroir de son taux de natalité, et détourne les yeux.
Ce déclin démographique, qu’on qualifiait autrefois de tendance, est devenu une réalité structurelle. Aucun pays de l’Union européenne n’atteint aujourd’hui le seuil de remplacement générationnel (2,1 enfants par femme). En Italie, on plafonne à 1,2 ; en Espagne à peine plus. Même la France, longtemps championne, recule doucement mais sûrement.
La fin du modèle familial ?
Les explications économiques abondent. Logement inaccessible, salaires stagnants, coût exorbitant de la garde d’enfants : la parentalité est devenue un luxe, là où elle était autrefois une évidence. Et les jeunes Européens, instruits mais précaires, ne veulent plus faire d’enfants “contre eux-mêmes”. L’enfant n’est plus l’horizon d’une vie réussie, mais un choix complexe, souvent repoussé, parfois abandonné.
Mais réduire la chute de la natalité à une simple affaire de portefeuille serait une lecture paresseuse. Il faut y ajouter une mutation profonde du rapport au temps, à soi, au couple, au monde. L’individu postmoderne n’a plus le même rapport au sacrifice. L’enfant ne “comble” plus une femme ni ne “continue” un homme. L’idéal bourgeois d’une maison, deux enfants et un chien s’estompe sous l’effet combiné de la crise écologique, du féminisme, et d’une quête accrue d’épanouissement personnel.
Naître dans un monde incertain
Comment désirer un enfant dans un monde qui brûle ? Nombreux sont ceux qui lient leur refus de procréation à l’effondrement climatique, à l’instabilité politique, à la fatigue d’être au monde. L’enfant n’est plus une promesse mais un vertige. Pourquoi faire naître, disent certains, un être que l’on ne peut plus assurer de protéger ? Dans les cercles éduqués, le renoncement à la parentalité devient presque un geste éthique, un choix lucide.
Et pourtant, ce renoncement n’est pas neutre. Une société sans enfants est une société sans projection, sans transmission, sans récit. Le risque, c’est celui d’un continent qui se referme sur lui-même, incapable de renouveler son propre souffle. Les politiques publiques, bien que conscientes de l’enjeu, semblent désarmées. Des aides sont proposées, mais peu changent les choses en profondeur, tant le sujet touche à l’intime, à la philosophie de la vie.
Faire un enfant n’est plus un automatisme. C’est une question de sens. Et tant que l’Europe n’en proposera pas, elle continuera de se regarder vieillir, mélancolique et stérile, sur les bancs d’un square déserté.