C’est le dernier grand tabou bourgeois. On peut désormais tout dire — ses traumas, ses désirs, ses peurs existentielles — mais parler d’argent au sein du couple demeure, pour beaucoup, une épreuve feutrée, presque indécente. Qui paie quoi ? Combien gagne l’autre ? Faut-il tout partager, ou préserver une part d’autonomie ? Autant de questions que l’on évite souvent par politesse, par crainte, ou simplement par habitude.
Et pourtant, s’aimer, c’est aussi affronter cette question sans détour. Car l’argent n’est jamais neutre : il est un miroir des inégalités, un révélateur de valeurs, un outil de pouvoir ou d’émancipation. Ignorer ce sujet, c’est accepter qu’un pan entier de l’intime soit régi par le non-dit.
Dans les premiers temps de la relation, tout semble simple : on alterne les additions, on ferme les yeux sur les écarts, on danse autour du sujet comme on contournerait un meuble trop lourd. Puis la vie commune vient, avec son cortège de dépenses partagées, de charges fixes, d’aspirations parfois divergentes — et la nécessité, impérieuse, de clarifier.
Faut-il tout mettre en commun ? Créer un compte joint ? Ou préférer une répartition proportionnelle aux revenus ? Il n’existe pas de modèle unique — mais ce qui compte, c’est la transparence. Non pas une transparence comptable et punitive, mais une mise en mots douce, régulière, où chacun ose dire ce qu’il ressent face à l’argent : la peur, la culpabilité, la fierté, l’angoisse de manquer ou le besoin de maîtriser.
Parler d’argent, c’est aussi parler de justice dans le couple. De qui assume les dépenses invisibles — les cadeaux, les courses, les frais pour les enfants — et de comment les efforts, financiers ou non, sont perçus et valorisés. Dans bien des foyers, l’asymétrie n’est pas dans les chiffres mais dans les récits.
Il est utile, même nécessaire, de ritualiser ces échanges. Un café le dimanche matin, un dîner tranquille où l’on dresse ensemble un état des lieux non pas des comptes, mais des ressentis. L’argent n’est pas seulement un sujet technique, c’est une matière émotionnelle, politique, symbolique.
En brisant ce tabou, le couple ne se fragilise pas — il se solidifie. Il devient ce qu’il prétend être : un lieu de confiance, d’écoute et de projection commune. Parler d’argent, c’est, au fond, se redire à deux le pacte d’être ensemble — dans la lucidité, et non dans l’illusion.
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