Cannes – Paris – Téhéran — C’est une image à la fois douce et subversive : celle de Jafar Panahi, silhouette frêle mais regard droit, recevant samedi soir la Palme d’or 2025 pour Un simple accident, une œuvre à la fois dépouillée et puissamment politique. Salué par le jury pour sa “mise en scène de l’indécidable”, le film divise, dérange, fascine.
Et dans les salons feutrés des critiques comme au cœur du public cinéphile, une question circule avec ironie : la Palme d’or 2025 est-elle, elle aussi, un simple accident ? Une récompense calculée ? Un geste diplomatique ? Ou bien, au contraire, l’aveu d’un désordre fécond dans le jugement artistique ?
Panahi, cinéaste de l’invisibilité
Interdit de filmer par le régime iranien depuis plus d’une décennie, Panahi continue de tourner en silence, dans l’exil intérieur, parfois à huis clos. Un simple accident n’échappe pas à cette grammaire de l’ombre : un homme se réveille dans une ville anonyme après un accident de voiture dont il ne garde aucun souvenir. Autour de lui, des inconnus lui prêtent des identités, des récits, des intentions qu’il n’est plus capable de contester.
C’est un film sur l’effacement de soi, la mémoire trouée, la dépossession politique. Mais c’est aussi un film sur la confusion moderne : celle de l’Occident et de l’Orient, de la vérité et du montage, de l’auteur et de l’ombre. Un simple accident porte bien son titre — et cette ambivalence radicale a sans doute séduit un jury en quête de trouble noble.
Une Palme d’ambiance, plus que de rupture
Esthétiquement, le film ne brille pas par la virtuosité. Il avance à pas lents, s’appuie sur de longs silences, parfois presque inconfortables. Mais il installe un climat — cette brume poétique et politique où chaque scène devient un symptôme. Le jury, présidé cette année par l’actrice française Juliette Binoche, a loué “la tension contenue, le refus du spectaculaire, l’économie du geste”.
On peut le dire autrement : une Palme d’atmosphère, pas de révolution. Une Palme cérébrale, presque discrète, qui dit davantage sur l’état du monde que sur celui du cinéma.
Une récompense politique ? Sans doute
À Cannes, tout est politique, surtout quand on prétend l’éviter. Récompenser Panahi aujourd’hui, c’est envoyer un signal limpide à l’Iran, mais aussi à tous les régimes autoritaires : l’art résiste, même en silence.
Mais c’est aussi — plus subtilement — récompenser une posture d’auteur : celle de la sobriété, de l’opacité maîtrisée, du refus du spectaculaire. Dans un monde saturé d’images, Panahi offre une fiction de la disparition. Une élégance de l’effacement. Et Cannes, cette année, a choisi de saluer cela.
Une Palme… accidentelle ?
Le paradoxe est là : le film s’intitule Un simple accident, et sa Palme pourrait presque sembler l’être aussi. Non que l’œuvre soit mineure, mais elle incarne à merveille ce moment esthétique de l’incertitude, où l’on couronne moins le choc que la nuance, moins le chef-d’œuvre que l’hypothèse.
Cette Palme est tout sauf évidente. Et c’est peut-être ce qui fait sa grandeur. Cannes, en 2025, a choisi un film qu’il faudra revoir, méditer, et peut-être ne jamais vraiment comprendre.
Un accident, oui. Mais un accident nécessaire.