L’Ouzbékistan, longtemps discret sur la scène automobile mondiale, s’impose aujourd’hui comme un pionnier inattendu de l’électromobilité en Asie centrale. En quelques années, le pays a renversé les tendances, passant d’une dépendance massive aux carburants fossiles à un soutien massif aux véhicules électriques (VE). Ce tournant, loin d’être anodin, est le fruit d’un savant mélange de politiques publiques ambitieuses, d’opportunités industrielles chinoises et de changements socio-économiques.
L’Électrique Surpasse le Thermique : Une Première Historique
En 2024, pour la première fois dans son histoire, l’Ouzbékistan a importé davantage de véhicules électriques et hybrides que de voitures à moteur thermique. Sur les 80 000 véhicules légers importés, près de 55 % étaient soit électriques, soit hybrides. Cette bascule est d’autant plus marquante que les ventes de voitures essence ont chuté de 36 %, tandis que les importations de véhicules électriques ont bondi de 150 %.
Ce basculement est porté par une baisse spectaculaire des prix. Entre 2023 et 2024, le prix moyen d’un VE importé est passé de 27 000 à seulement 9 300 dollars. En parallèle, le gouvernement a supprimé les droits d’accise et de douane sur ces véhicules, une décision qui a largement facilité leur accès.
La Chine, Leader Incontesté sur le Marché Ouzbek
Plus de 85 % des VE vendus en Ouzbékistan en 2024 étaient d’origine chinoise. Des marques comme BYD, Zeekr ou encore MG ont envahi le marché local grâce à une combinaison gagnante : des prix accessibles, une technologie fiable et une image de plus en plus valorisée. L’implantation d’une usine BYD à Jizzakh en est l’illustration : cette usine, la première hors de Chine pour le constructeur, vise à produire jusqu’à 500 000 véhicules par an d’ici 2027.
Cette domination chinoise s’explique aussi par un contexte politique favorable. Le président Mirziyoyev a placé l’électrification au cœur de sa stratégie industrielle, avec pour objectif de faire de l’Ouzbékistan un hub automobile régional.
Infrastructure et Perception : Les Clés du Changement
L’un des principaux freins à l’adoption du VE était l’absence de bornes de recharge. En 2020, il n’en existait que trois dans tout le pays. Aujourd’hui, on en compte plus de 450, un bond considérable rendu possible par des entreprises locales comme Megawatt Motors. Ces pionniers ont même proposé pendant deux ans des recharges gratuites pour inciter les conducteurs à franchir le pas.
Mais l’électrification ne se limite pas à l’infrastructure : la perception des consommateurs a radicalement évolué. Les voitures chinoises, longtemps dévalorisées, sont désormais perçues comme modernes, fiables et statutaires. Le tout dans un contexte de flambée des prix du gaz liquéfié (LPG), principal carburant jusque-là.
Une Transition Énergétique Sous Tension
L’adoption des VE est une étape clé dans la transition énergétique de l’Ouzbékistan. Toutefois, pour que cette révolution ait un véritable impact écologique, l’électricité qui alimente ces véhicules doit elle-même devenir plus verte. Actuellement, 80 % de la production électrique provient du gaz naturel. Malgré une hausse à 20 % de la part des énergies renouvelables, le défi reste immense.
Le pays s’est engagé à réduire de 33 % ses émissions par unité de PIB d’ici 2030. Mais pour y parvenir, il devra non seulement électrifier sa flotte automobile, mais aussi verdir son réseau énergétique – un pari ambitieux, dans un pays où les coûts de l’électricité sont encore largement subventionnés.
Vers une Autonomie Industrielle et une Croissance Durable
L’implantation de chaînes de production locales de VE marque une nouvelle ère pour l’industrie ouzbèke. Le secteur automobile, développé depuis les années 1990, se réinvente aujourd’hui autour de la mobilité durable. L’objectif à moyen terme est clair : créer des emplois, réduire la dépendance aux importations et faire de l’Ouzbékistan un acteur industriel majeur en Asie centrale.
Le partenariat stratégique avec la Chine, bien que déséquilibré sur le plan commercial, apparaît comme une opportunité de croissance partagée. Pour Tashkent, il s’agit de répondre à une double urgence : environnementale et sociale. Et jusqu’à présent, les résultats sont au rendez-vous.
Conclusion
L’Ouzbékistan n’est pas seulement en train de rattraper son retard technologique — il est en passe de le dépasser. La dynamique enclenchée autour des véhicules électriques, soutenue par une volonté politique affirmée et des investissements stratégiques, montre qu’une transition rapide est possible, même dans les économies émergentes. L’enjeu désormais est de garantir que cette transformation reste durable, équitable et résiliente face aux défis à venir.