C’est un sujet qui, en France, réveille des passions anciennes : l’héritage. Transmission sacrée pour les uns, inégalité béante pour les autres, il divise les sensibilités comme il divise les patrimoines. Faut-il, à l’heure où l’on parle d’égalité des chances, s’interroger plus frontalement sur l’injustice de naître avec (ou sans) un capital ? Ou faut-il, au contraire, défendre le droit de transmettre — et celui de recevoir — comme un pilier discret de notre stabilité économique et culturelle ?
En vérité, l’héritage est une forme d’inégalité… socialement tolérée, parfois même esthétiquement valorisée. On l’entoure de silences feutrés, de notaires et de traditions, mais il repose sur une idée simple et brutale : certains naissent avec des biens, des terres, des rentes, quand d’autres naissent avec des dettes ou du néant. Dans une société qui prétend récompenser le mérite, c’est une entorse considérable. On ne mérite pas son héritage, on le reçoit. Ou pas.
Et pourtant, l’héritage persiste, comme une colonne vertébrale invisible du monde bourgeois. Il structure les classes, soutient les patrimoines familiaux, maintient l’illusion d’un ordre social. Il est ce que les économistes appellent un “accélérateur d’inégalité”, mais aussi un “stabilisateur d’anticipation”. Car il permet — et cela n’est pas rien — de penser le long terme, d’investir, de transmettre une entreprise, un appartement, une bibliothèque, un vignoble ou une idée du monde.
D’un point de vue économique, supprimer l’héritage serait radical. Trop, peut-être. Ce serait casser le lien intergénérationnel qui, malgré ses dérives, finance les études des enfants, amortit les crises, ou garantit la retraite de ceux que l’État oublie. C’est injuste ? Sans doute. Mais c’est efficace, au moins à court terme. Le capital hérité ne choisit pas son camp : il irrigue les professions libérales, les zones rurales, l’artisanat, les start-up. C’est une forme d’investissement, d’autant plus puissante qu’elle ne dit pas son nom.
Reste la question morale. Peut-on continuer à légitimer un ordre social fondé sur la naissance et non sur la compétence ? Peut-on encore parler d’égalité républicaine quand la moitié du patrimoine national est détenue par une poignée de familles ? Peut-on admirer l’ascension sociale sans regarder en face les plafonds de verre patrimoniaux ?
Peut-être faut-il repenser l’héritage non comme un tabou à abolir, ni comme un dogme à sanctuariser, mais comme un levier à équilibrer. Taxer davantage les très grandes fortunes, limiter les avantages fiscaux opaques, favoriser la transmission du vivant sous condition d’usage utile… Il ne s’agit pas de punir ceux qui ont, mais de ne pas sacrifier ceux qui n’ont rien.
L’héritage n’est ni une faute ni une vertu. C’est une question politique, donc une question de choix. Et ce que nous décidons d’en faire en dit beaucoup sur ce que nous appelons, ou refusons d’appeler, justice.
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