C’est une question que l’on n’ose plus poser trop fort dans les dîners en ville, de peur de froisser l’entrepreneur en t-shirt noir assis à côté du directeur d’opéra. Et pourtant, dans les étages feutrés des sièges européens, elle revient, insistante, presque rhétorique : les grands patrons en ont-ils marre de payer toujours plus ?
Ce n’est pas tant une exaspération bruyante qu’un ras-le-bol murmuré, une lassitude à peine voilée derrière les déclarations convenues sur la responsabilité sociale des entreprises. La fiscalité européenne — particulièrement en France, en Allemagne et en Scandinavie — reste parmi les plus élevées du monde développé. Et si les CEO n’en parlent pas dans leurs keynotes, leurs conseillers fiscaux, eux, n’ont jamais été aussi sollicités.
Des chiffres qui donnent le vertige
Selon une étude du cabinet PwC, les grandes entreprises européennes consacrent en moyenne 47 % de leurs bénéfices au paiement des impôts et contributions sociales. Dans certains pays, ce chiffre flirte même avec les 50 %, seuil psychologique que beaucoup jugent “confiscatoire”. À titre de comparaison, les États-Unis, pourtant pas un eldorado social, se contentent d’un taux autour de 25 %.
Résultat ? Des délocalisations fiscales en douce, des sièges sociaux qui se déplacent, non pas pour des raisons industrielles, mais pour respirer un air fiscal un peu moins vicié. L’Irlande, le Luxembourg et désormais les Pays-Bas se posent en refuges civilisés. Bruxelles n’ose pas trop en parler — cela ferait mauvais genre au Parlement — mais la tendance est là.
L’impôt, nouvel ennemi culturel ?
La question n’est plus simplement économique. Elle est devenue culturelle. Dans une Europe marquée par des tensions sociales, parler de “trop d’impôts” vous classe vite dans le camp des ultra-libéraux, voire des cyniques. Pourtant, nombreux sont les patrons qui dénoncent, en privé, une fiscalité punitive, qui bride l’innovation, la croissance… et l’envie de rester.
« J’ai 11 000 salariés, je crée de la valeur, je paie tout ce que je dois. Mais je suis traité comme un fraudeur potentiel », souffle, amer, un PDG du CAC 40 sous couvert d’anonymat. Lui ne veut pas fuir, mais comprend ceux qui regardent ailleurs.
La tentation anglo-saxonne
Il y a aussi un modèle mental en jeu. L’élite économique européenne a longtemps regardé avec un mélange d’admiration et de jalousie ses homologues américains : Bezos, Musk, ou même des patrons britanniques, souvent plus libres, plus liquides, moins exposés. Là-bas, la réussite n’est pas un péché fiscal. Ici, elle suscite encore la méfiance.
Et si le vrai divorce n’était pas entre les entreprises et l’impôt, mais entre deux visions du contrat social ? D’un côté, une Europe redistributrice, parfois rigide, pétrie d’idéaux égalitaires. De l’autre, une classe dirigeante mondialisée, agile, souvent hors-sol, qui ne comprend plus pourquoi elle devrait se sacrifier pour un système qu’elle ne reconnaît plus.
Un ras-le-bol feutré, mais réel
Alors oui, ils en ont marre. Mais à l’européenne : poliment, rationnellement, lentement. Pas de révolte, pas de slogans. Juste un glissement silencieux vers d’autres rives, plus accueillantes. Le vrai signal d’alarme, c’est que personne ne semble vraiment s’en émouvoir.
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