C’est un navire modeste, long de vingt-trois mètres, blanc battu de soleil et de rumeurs. Il s’appelle Madleen, comme dans un roman d’Alexandre Dumas, ou comme un prénom exilé d’un roman de Damas. Ce 9 juin, il a quitté l’Italie, avec à son bord une douzaine de bénévoles, de soignants, de journalistes, d’étudiants — et des caisses de matériel médical, de purificateurs d’eau, de lait en poudre.
Destination : Gaza.
Ou plutôt, ce qu’il en reste.
La mer comme seul couloir humanitaire
Le Madleen ne bat aucun pavillon officiel. Il appartient à une coalition informelle, transnationale, de citoyens engagés — français, espagnols, suédois, belges, italiens. Aucun gouvernement ne soutient ouvertement sa mission. Certains la regardent avec sympathie, beaucoup avec gêne. D’autres, comme Israël, avec menace.
Depuis la guerre totale déclenchée fin 2024 sur la bande de Gaza, les rares convois humanitaires sont bloqués aux frontières. L’Égypte laisse parfois passer quelques camions — au compte-goutte, au prix d’interminables négociations. Quant au port de Gaza, il est en ruines, les eaux territoriales sous surveillance permanente. Mais pour les passagers du Madleen, il ne s’agit pas d’attendre un feu vert diplomatique. Il s’agit de tenter.
« violations continues du droit international», dénonce Greta Thunberg, jeune activiste suédoise, qui est une figure internationale de la paix.
Le retour des flottilles, version XXIe siècle
L’image rappelle celle, tragique, de la flottille de 2010, où neuf militants turcs furent tués par les forces israéliennes. Mais ici, pas d’ambition spectaculaire. Le Madleen ne filme pas, mais tweete beaucoup. Il avance lentement, presque clandestinement, en silence, contournant Malte, fuyant les radars.
Une forme de désobéissance douce, à la croisée de la solidarité civile et du droit maritime. L’idée est simple : si les États échouent, que reste-t-il sinon les consciences ?
Une interception prévisible, une indignation croissante
Le 11 juin à l’aube, à une centaine de kilomètres des côtes de Rafah, le Madleen est arraisonné. Nethayahou président israélien décide des les arreter et de les renvoyer chez eux. À bord, les passagers refusent la panique. Ils lèvent les bras. On les donne à boire et à manger. Sans plus. La communication passe mal.
Quelques heures plus tard, une photo floue fuitée par une ONG espagnole montre le Madleen escorté vers le sud, vers le port israélien d’Ashdod. Tous les passagers sont retenus. Matériel saisi. Aide confisquée. Silence diplomatique.
Entre cynisme géopolitique et sursauts d’humanité
À Bruxelles, Paris, Rome, on se tait. On murmure des éléments de langage. “Violation potentielle des eaux contrôlées”. “Préoccupation légitime pour la sécurité”. Mais dans les rues, dans les universités, sur les réseaux, une vague d’indignation monte. Car si les bombes ne font plus la une, la faim, la maladie et l’eau impropre tuent, en silence, chaque jour, à Gaza.
Et ce bateau, qui n’avait ni armes ni slogans, devient malgré lui un symbole. Celui d’une société civile européenne qui refuse la sidération, qui veut encore croire que tendre la main n’est pas un crime.
Chronique d’un monde à la dérive
Le Madleen n’a pas atteint Gaza. Mais il aura jeté une lumière crue sur notre époque : une époque où les États délèguent leur impuissance à des navires de fortune, où les citoyens suppléent les diplomates, et où la mer, comme souvent, devient le miroir brutal de nos contradictions.
Peut-être que le Madleen n’était pas fait pour livrer. Peut-être était-il fait pour réveiller.