Il y a les amis de jeunesse, photographiés dans l’insouciance du Polaroid. Il y a ceux que l’on appelle “frères” ou “sœurs”, même sans lien de sang. Puis, il y a ceux qu’on perd de vue – non pas à cause d’un conflit, mais parce que la vie s’en mêle, avec son cortège de déménagements, de responsabilités, d’enfants, de couples, de carrières. Et si l’on prenait un instant pour se demander : que deviennent nos amitiés quand nous vieillissons ? Et surtout, que deviennent nous-mêmes, privés de leur présence ?
Car la science, elle, ne doute plus : l’amitié fait du bien à la santé. Elle réduirait les risques cardiovasculaires, soutiendrait le système immunitaire, ralentirait les effets du stress. Dans une époque saturée d’écrans, de solitudes déguisées et de “like” automatiques, l’ami véritable – celui qui vous écoute, vous appelle sans raison, vous connaît mieux que votre psy – devient un précieux médicament. À dose libre, sans ordonnance.
Le paradoxe européen
Et pourtant, l’Europe vieillit, et avec elle, s’éteint souvent une certaine culture de l’amitié. Dans les pays du Nord, la solitude des aînés est une crise sanitaire masquée. En France, on entretient volontiers le culte de l’indépendance, jusqu’à l’isolement. Même dans les grandes villes, où l’on se tutoie à la terrasse mais s’ignore dans la peine, l’amitié semble parfois reléguée à l’arrière-plan d’une vie pressée.
Serait-ce une négligence affective à bas bruit ? Le couple, la famille, le travail : ces piliers classiques prennent de plus en plus de place à mesure que les années passent. Mais l’ami, lui, reste souvent coincé dans le passé, relégué au statut de souvenir sympathique. On parle de “faire un dîner” sans jamais l’organiser. On promet de “prendre des nouvelles”, mais on reporte l’appel au lendemain.
Repenser l’architecture du lien
La vérité est que l’amitié n’est pas une évidence, elle se travaille. Elle demande de la présence, de la tendresse, parfois de la discipline. Elle ne rapporte rien sur un plan productif, ce qui, dans une société de l’utile, la rend presque suspecte. Et pourtant, c’est souvent dans le regard de nos amis que nous retrouvons notre propre visage.
Alors que les politiques de santé publique s’interrogent sur la prévention, sur la dépression ou le vieillissement, pourquoi ne pas y inclure la politique de l’amitié ? Créer des espaces où l’amitié peut durer, grandir, se renouveler. Valoriser ces liens qui ne sont ni économiques ni juridiques, mais profondément humains.
Un proverbe africain dit : “Si tu veux aller vite, marche seul. Si tu veux aller loin, marche avec les autres.” En Europe, nous marchons souvent seuls. Et si, pour une fois, nous faisions une pause, pour attendre nos amis ?