La polémique était sans doute inévitable. Elle a éclaté mercredi autour d’une caricature publiée par Charlie Hebdo, représentant la militante décoloniale Rokhaya Diallo grimée en Joséphine Baker, ceinture de bananes à la taille. Une image que l’intéressée a immédiatement qualifiée de « raciste », y voyant la réactivation d’un imaginaire colonial et sexiste qu’elle combat depuis des années.
Sur le réseau social X, Rokhaya Diallo a dénoncé un dessin « hideux », destiné selon elle à la « rappeler à sa place dans la hiérarchie raciale et sexiste ». Elle accuse le journal satirique d’être « incapable de confronter les idées d’une femme noire sans la réduire à un corps dansant, exotisé, supposément sauvage », inscrivant cette caricature « dans le droit fil de l’imagerie coloniale ».
Face à ces accusations, Charlie Hebdo a opposé une fin de non-recevoir, rejetant toute lecture raciale de l’illustration. Le dessin, signé Riss, directeur de la publication, accompagne un article paru dans un hors-série consacré aux « fossoyeurs de la laïcité », titré : « Rokhaya Diallo, la petite fiancée de l’Amérique ». Le journal affirme y critiquer non une identité, mais des positions idéologiques : celles de l’essayiste, hostile selon lui à la loi de 1905 et favorable à un modèle communautariste inspiré des États-Unis.
Dans un communiqué publié sur le même réseau social, Charlie Hebdo estime que voir dans cette caricature une référence raciste relève de la « manipulation », accusant Rokhaya Diallo de projeter sur ses adversaires les logiques identitaires qu’elle défendrait elle-même. Le journal lui reproche d’assigner « chacun à son origine ethnique et religieuse », en opposition frontale avec l’universalisme républicain dont il se revendique.
Au-delà de l’échange d’invectives, l’épisode illustre une fois de plus la fracture idéologique profonde qui traverse le débat public français. D’un côté, une conception radicalement universaliste de la satire, qui se veut aveugle aux identités et jalouse de son droit à l’outrance ; de l’autre, une lecture attentive aux rapports de domination symbolique, où les images ne sauraient être détachées de leur histoire ni de leur charge politique.
Une controverse de plus, donc, où la liberté d’expression, l’héritage colonial et la définition même du racisme s’entrechoquent, sans que le dialogue semble réellement possible.
