Ils étaient venus pour se souvenir. Ils sont repartis blessés, traqués, parfois morts. À Nairobi, ce qui devait être une commémoration silencieuse s’est transformé en affrontement sanglant : 16 morts, plus de 300 blessés. Dans les rues, les slogans n’ont pas tardé à fuser : “Ruto must go”, crié comme un verdict populaire. Le président William Ruto, déjà impopulaire après une année 2024 marquée par l’angoisse sociale, voit son mandat vaciller sous les projecteurs de la colère et du deuil mêlés.
Officiellement, les manifestants s’étaient rassemblés pour honorer les victimes des violences de l’an dernier. Mais très vite, les tensions ont dégénéré : gaz lacrymogènes, balles réelles, arrestations massives. La capitale kényane a basculé dans une atmosphère de guerre civile larvée, où la mémoire devient moteur de révolte, et la rue, tribunal d’une présidence contestée.
Depuis des mois, le président Ruto navigue à vue. Fin stratège ou simple tacticien, il avait récemment renoncé à toute hausse d’impôts, conscient que la moindre étincelle pouvait mettre le feu à une société déjà à vif. Mais si ce recul fiscal lui a permis de gagner du temps, il n’a rien réglé. Car la crise est plus profonde : elle est morale, sociale, générationnelle.
Le Kenya de 2025 est un pays jeune, urbain, connecté, et épuisé. La corruption structurelle, le chômage endémique, l’inflation rampante et l’absence de perspectives réelles alimentent une exaspération qui ne se laisse plus contenir. Et dans ce contexte, la figure de Ruto, ancien “self-made man” transformé en président gestionnaire, suscite plus de méfiance que de respect. À force d’éviter les décisions impopulaires, il s’est enfermé dans une posture d’attentisme. La rue, elle, a choisi l’accusation.
Mais ce n’est pas seulement un drame kényan. C’est un reflet des démocraties africaines sous pression, coincées entre attentes croissantes des populations et marges de manœuvre économiques de plus en plus étroites. Le soulèvement de Nairobi dit quelque chose de l’Afrique d’aujourd’hui : lucide, impatiente, connectée, postcoloniale et post-idéologique. Une Afrique qui ne veut plus être gouvernée de haut, ni de loin.
Ce 25 juin, la commémoration a viré au tumulte. Mais c’est peut-être aussi le signe que la mémoire ne suffit plus : il faut du sens, de la justice, et de la transformation réelle. Le peuple kényan n’a pas seulement pleuré ses morts. Il a posé, à sa manière, une question politique majeure : combien de temps encore faudra-t-il attendre pour que la démocratie cesse d’être un mot creux ?
Avez-vous trouvé cet article instructif ? Abonnez-vous à la newsletter de notre média EurasiaFocus pour ne rien manquer et recevoir des informations exclusives réservées à nos abonnés : https://bit.ly/3HPHzN6
Did you find this article insightful? Subscribe to the EurasiaFocus newsletter so you never miss out and get access to exclusive insights reserved for our subscribers: https://bit.ly/3HPHzN6