Dans l’imaginaire collectif, l’homosexualité rime avec progressisme. Dans les rues de Berlin comme sur les pavés de Paris, on associe encore volontiers la figure du jeune gay cultivé, branché, amoureux d’architecture brutaliste et de psychanalyse, à un engagement politique orienté à gauche. Mais cette équation, devenue réflexe dans les milieux intellectuels et urbains, mérite d’être interrogée. Car être homosexuel en Europe ne signifie plus nécessairement être un militant de gauche.
D’abord, un constat démographique : les homosexuels ne forment pas une catégorie sociale homogène. On trouve des gays catholiques fervents à Cracovie, des lesbiennes marxistes à Athènes, des couples masculins CSP+ dans le Marais et des jeunes trans précaires à Bucarest. Dès lors, pourquoi une orientation sexuelle produirait-elle un vote uniforme ?
Historiquement, la gauche s’est faite la défenseuse des droits LGBTQIA+, du mariage pour tous à la lutte contre les discriminations. Elle a offert un langage politique à des existences longtemps invisibilisées. Mais à mesure que l’égalité formelle progresse – dans le droit, l’administration, les médias –, certains homosexuels européens commencent à se sentir plus concernés par des enjeux économiques, sécuritaires ou identitaires que par les causes progressistes.
À Rome ou à Anvers, on entend parfois ces voix dissonantes : « Je suis gay, oui. Mais je ne suis pas pour l’immigration massive. » Ou encore : « Je n’ai pas voté pour un parti, j’ai voté pour qu’on me laisse tranquille. » Dans les cafés de Vienne, certains couples d’hommes mariés discutent fiscalité, immobilier ou écologie de manière très libérale – sinon franchement conservatrice.
Cette réalité dérange la gauche morale, qui a parfois du mal à accepter qu’on puisse être minoritaire sans être révolutionnaire. Pourtant, la citoyenneté homosexuelle s’est aussi transformée en normalité bourgeoise. On s’aime, on se pacse, on prend un chien, on achète une maison de vacances au Portugal. Le rêve queer s’est parfois fondu dans le rêve européen.
Mais inversement, la droite n’a pas su capter ce public sans renier son ADN. L’homophobie rampante dans les partis traditionnels conservateurs reste un repoussoir. Quand Marine Le Pen ou Giorgia Meloni s’affichent comme « protectrices des homosexuels contre l’islam radical », elles jouent sur une fracture culturelle qui divise bien plus qu’elle ne rassemble. Car l’instrumentalisation sécuritaire de l’homosexualité passe mal dans les milieux concernés.
En vérité, être homosexuel en Europe aujourd’hui, c’est souvent osciller entre reconnaissance et solitude politique. Trop bourgeois pour la gauche radicale, trop différent pour la droite traditionnelle, l’homosexuel européen devient un électeur stratège, inquiet, parfois cynique. Ni dupe des promesses, ni naïf sur la réalité.
Alors, est-on nécessairement de gauche quand on est homosexuel ? Non. Mais on reste, malgré soi, un baromètre. De la tolérance d’une société. De ses contradictions aussi. Être homosexuel en 2025, c’est appartenir à une communauté sans parti, mais avec mémoire.
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