Washington – juin 2025
L’image est presque trop parfaite pour ne pas être ironique : Elon Musk, visage tendu, cravate sombre, sort du bâtiment du Department of Government Efficiency comme on claque une porte discrètement mais avec fracas. Quelques mots postés sur X : « J’ai fait de mon mieux. Ce n’était pas assez. » Ainsi se clôt une parenthèse singulière — celle d’un industriel démiurge qui croyait pouvoir dompter l’hydre bureaucratique.
Le mythe du réformateur éclairé
Nommé en janvier par Donald Trump lui-même, Musk devait incarner une vision moderne de l’État : agile, audité, efficace. La DOGE, cet acronyme presque satirique, devait révolutionner la gestion des ressources publiques en appliquant à la machine fédérale les recettes du capitalisme de rupture. Licenciements massifs, audit des dépenses, suppression de projets « redondants » : Musk n’a pas traîné. En quelques mois, il annonce 175 milliards de dollars « économisés ».
Mais le chiffre, aussitôt repris en boucle, est contesté. Certains économistes y voient un « tour de passe-passe », une réduction comptable sans réel gain structurel. D’autres dénoncent une attaque contre les services publics essentiels, comme les soins vétérans ou les bourses étudiantes. La méthode Musk, brutale et peu concertée, a fini par heurter même les conservateurs modérés.
La politique, terrain miné du génie privé
Elon Musk n’est pas un homme politique. Il est un homme d’intuition, d’ingénierie, de fulgurance. Mais ce que cette expérience gouvernementale révèle, c’est que l’État ne se gère pas comme une start-up. La lenteur administrative, souvent honnie, est aussi une forme de prudence. L’équité, la responsabilité sociale, la diplomatie inter-agences : autant de domaines où le style Musk — vertical, hyper-rationnel, provocateur — devient dissonant, voire contre-productif.
Le coup de grâce viendra de son propre camp. Lorsqu’il critique publiquement le « Big Beautiful Bill » de Trump, projet phare d’investissements massifs dans l’infrastructure, en le qualifiant « d’abomination budgétaire », la fracture est consommée. On murmure à la Maison Blanche qu’il a trahi l’esprit d’équipe. Lui se contente de rappeler qu’il a « tenté de sauver les contribuables d’un avenir inflationniste ».
Un symptôme de notre époque
Au-delà de l’anecdote, la trajectoire de Musk à la DOGE interroge. Que révèle-t-elle de notre fascination pour les figures de pouvoir venues du privé ? Depuis Steve Jobs jusqu’à Sam Altman, l’Occident semble croire qu’un bon ingénieur fait forcément un bon gouvernant. Or, l’efficacité technique n’est pas la sagesse politique. Elle n’intègre ni le temps long, ni la conflictualité, ni le besoin de compromis. En quittant la DOGE, Musk avoue en creux qu’un milliardaire visionnaire n’est pas nécessairement un architecte du bien commun.
Retour à l’essentiel ?
On murmure que Musk retourne désormais à ses premières amours : l’espace, l’intelligence artificielle, les voitures autonomes. Un terrain où il excelle, où il crée, où il dérange mais aussi où il transforme. Peut-être est-ce là son lieu véritable : à l’avant-garde de la technique, pas dans les rouages de l’État.
La tentative DOGE, ambitieuse mais vouée à l’échec, restera comme un chapitre à part dans sa biographie — celle d’un homme qui a cru pouvoir réparer l’Amérique comme on recode un logiciel, et qui a découvert, à ses dépens, que la démocratie ne se téléguide pas.
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