Le mot sonne comme une fusion étrange entre hédonisme et pharmacie. Chemsex — contraction de chemical et sex — désigne la pratique de rapports sexuels prolongés, souvent collectifs, sous l’influence de drogues de synthèse : GHB, crystal meth, mephedrone… Longtemps marginal, le phénomène s’installe dans les grandes villes européennes, de Berlin à Paris, de Londres à Barcelone. En arrière-plan : solitude, hyperconnexion, recherche de sensations, et un certain désespoir contemporain.
Il serait tentant de n’y voir qu’un dérèglement des mœurs, un symptôme de l’époque, une transgression de plus dans une société sans limites. Mais ce serait rater l’essentiel. Le chemsex ne se comprend pas sans prendre en compte les fractures sociales, le mal-être intime, et l’architecture psychique d’un monde qui valorise la performance jusque dans l’intime.
Apparu dans les milieux gays londoniens dans les années 2000, souvent associé aux applications de rencontre, le chemsex répond à une demande paradoxale : plus de plaisir, avec moins de contact réel. Loin d’un libertinage assumé, il s’agit d’un corps mis sous substances, d’un temps dilaté par la drogue, d’un sexe sans affect, sans tendresse, parfois sans mémoire. Ce n’est pas l’orgie dionysiaque : c’est une anesthésie active, une tentative de fuir la conscience de soi par l’excès.
Pourquoi l’Europe ? Parce que ses grandes métropoles offrent l’anonymat, l’accès facile aux produits, une vie nocturne fragmentée, et une culture numérique qui privilégie la mise en scène au lien réel. Le chemsex, c’est aussi l’enfant adultérin de l’hyperconnexion : on ne se parle plus, on se branche. L’expérience devient un produit, le plaisir une échappée temporaire. Et parfois, un piège.
Car derrière l’apparente liberté se cachent des trajectoires douloureuses : dépendances sévères, violences sexuelles, troubles psychiques, isolement croissant. Les services de santé publique tirent la sonnette d’alarme, mais les moyens sont encore maigres. La honte, l’invisibilité et la peur du jugement rendent l’accompagnement difficile. Le chemsex ne s’avoue pas facilement dans une société qui juge le sexe, la drogue et la fragilité, chacun à sa manière.
Faut-il moraliser ? Non. Mais comprendre. Le chemsex ne dit pas tant quelque chose de la sexualité que de notre époque : une époque qui offre tout, sauf le lien. Ce que cherchent celles et ceux qui y plongent, ce n’est pas la jouissance, mais la suspension. La suspension de la solitude, de la norme, du temps. Ce que révèle le chemsex, c’est peut-être le besoin désespéré de se dissoudre dans un autre, fût-il fugitif, toxique, ou sous influence.
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