Quelques jours après l’assassinat de Mehdi Kessaci, exécuté en plein jour dans une rue du 4ᵉ arrondissement, Marseille vit sous une tension presque palpable. Une sorte de souffle coupé collectif, lourd, dense, où chaque mot devient un risque et chaque silence une survie. Chez les militants, les travailleurs sociaux, les élus municipaux, un même sentiment : la peur a changé de nature. Elle n’est plus seulement la peur du deal ou des fusillades. C’est désormais la peur d’être soi-même visé — ou pire, de voir ses proches le devenir.
Un crime « d’intimidation » qui bouleverse un écosystème fragile
Mardi, le ministre de l’Intérieur Laurent Nuñez qualifie l’assassinat de Mehdi Kessaci de « crime d’intimidation ». Le message, en creux, est glaçant : la victime n’était pas visée pour elle-même mais pour atteindre son frère, Amine Kessaci, jeune militant écologiste engagé contre le narcotrafic et ancien candidat politique.
Un homme sous protection policière, mais dont la parole dérange suffisamment pour que son propre frère soit pris pour cible.
À Marseille, une ligne rouge vient d’être franchie.
« Je ne suis pas kamikaze » : le règne de l’anonymat et de l’angoisse
Dans les quartiers nord, ceux qui agissent, accompagnent, discutent, apaisent, réparent, refusent désormais de prendre la parole à visage découvert. Boris*, militant implanté depuis des décennies, souffle au téléphone :
« Je ne suis pas kamikaze. On vit dans une psychose depuis jeudi. »
Inès*, éducatrice de terrain, confesse la même sidération :
« Mon entourage me demande d’arrêter de parler. Ils me disent que je vais peut-être y passer aussi. »
Le climat n’est plus celui d’une ville gangrenée par la drogue ; il devient celui d’une cité où la parole citoyenne se sait ciblée. Où l’engagement expose les enfants autant que les parents.
La violence mafieuse change d’échelle
Certains traits évoqués par les acteurs de terrain rappellent brutalement d’autres latitudes :
« On est arrivés aux méthodes des cartels mexicains, dit Boris. Ils peuvent tuer ta famille pour t’atteindre. »
Il ne s’agit plus de règlements de comptes entre trafiquants mais d’un signal adressé à toute personne qui prétendrait briser l’omerta. C’est là le saut qualitatif — et terrifiant.
L’assassinat de Mehdi Kessaci, suivi d’un second homicide le jour même des obsèques, signe une transformation profonde : le narcotrafic marseillais se comporte comme un pouvoir parallèle, doté de sa propre diplomatie, de ses sanctions, de ses punitions exemplaires.
Les élus eux-mêmes vacillent
Dans les couloirs de la mairie, le ton est grave.
« Si ce changement de dimension était confirmé, il fait craindre une menace réelle contre tous ceux qui prennent la parole », glisse un élu.
Journalistes, militants, responsables locaux : tous mesurent que l’espace public se rétrécit sous la pression criminelle.
Le pouvoir municipal, souvent tiraillé entre volonté d’action et impuissance matérielle, voit désormais planer un risque physique sur ceux qui incarnent la République à visage découvert.
Marseille face à sa vérité
La ville, deuxième métropole de France, semble se confronter aujourd’hui à l’épreuve que d’autres sociétés ont connue avant elle : lorsque le crime organise un ordre social alternatif, et que la peur devient sa principale arme de gouvernement.
Une omerta s’installe, insidieuse mais totale, dans les cités, les bureaux municipaux, les associations, les cafés où l’on chuchote maintenant ce qu’on disait encore à voix haute la semaine dernière.
Dans ce climat où l’intimidation devient un langage, l’assassinat de Mehdi Kessaci apparaît moins comme un drame isolé que comme le symptôme d’une bascule historique. Marseille découvre qu’il existe un moment où l’État et la société civile doivent se battre non seulement pour reconquérir des territoires, mais pour reconquérir la possibilité même de parler.
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