Abidjan – Cote D’ivoire
Dans les salons feutrés de l’hôtel Sofitel Ivoire, les puissants du continent africain et leurs partenaires internationaux se sont donnés rendez-vous, ce 12 mai, pour l’ouverture d’une 12e édition de l’Africa CEO Forum qui, année après année, s’impose comme le lieu stratégique où s’invente, se débat, et parfois se dispute, l’avenir économique de l’Afrique.
Dans un monde fracturé par le repli sur soi, où la financiarisation globale peine à irriguer équitablement le Sud global, les élites économiques et politiques africaines abordent cette édition 2025 avec une conscience aiguë des fragilités structurelles du continent, mais également de ses potentialités inexploitées.
Un « New Deal » africain : pragmatisme, volontarisme et réalisme post-idéologique
Sous le thème ambitieux — presque solennel — « Un New Deal public-privé peut-il rebattre les cartes en faveur du continent ? », le forum entend dépasser les incantations habituelles sur le « réveil africain » pour poser les bases d’un pacte réactualisé entre les États, parfois défaillants, et des acteurs privés en quête de gouvernances stables et de cadres d’investissement transparents.
En toile de fond, une exigence : celle d’un réalisme économique débarrassé des oripeaux idéologiques, où la souveraineté économique africaine ne s’opposerait plus à l’attractivité internationale, mais chercherait plutôt à en renégocier les termes.
La présidente du groupe Orange, Christel Heydemann, a ouvert les débats en appelant à un « aggiornamento des règles du jeu, où les infrastructures critiques, qu’elles soient numériques ou énergétiques, doivent désormais relever d’une gouvernance concertée entre pouvoirs publics, multinationales et acteurs locaux. »
Défis énergétiques, ZLECAf, intelligence artificielle : les nouveaux chantiers d’une Afrique à grande vitesse.
Au fil des panels, les thématiques abordées dessinent une cartographie précise des grands défis continentaux. La crise énergétique, exacerbée par les tensions géopolitiques mondiales, s’invite comme priorité absolue, dans un continent où plus de 600 millions d’Africains vivent encore sans accès stable à l’électricité.
Mais c’est surtout autour de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) que se cristallisent les attentes. Censée favoriser une intégration économique régionale, la ZLECAf reste à ce jour plus un horizon qu’une réalité, freinée par des inerties administratives, des différends douaniers et des déficits logistiques criants.
La gouvernance alimentée par l’intelligence artificielle, la transformation numérique des services financiers et la sécurisation des chaînes d’approvisionnement locales sont également au cœur des discussions, avec une insistance sur la nécessité pour l’Afrique de créer ses propres standards technologiques et de se positionner comme force de proposition face aux géants sino-américains.
Un débat inédit pour la présidence de la BAD, entre visions industrielles et capital patient.
Moment rare dans les annales du forum : les cinq prétendants à la présidence de la Banque africaine de développement (BAD) débattront publiquement ce 13 mai. Un exercice démocratique inédit, qui devrait permettre de confronter des visions parfois antagonistes : industrialisation lourde contre économie circulaire, capital patient contre attraction de financements externes rapides, souverainisme continental contre intégration mondialisée assumée.
Une Afrique qui prend la parole… et le leadership économique mondial ?
Au-delà des chiffres, des contrats et des panels, c’est une Afrique volontaire, en quête d’autorité narrative et économique, qui émerge de cette édition. « Nous devons cesser de plaider notre cause. Nous devons devenir les arbitres, pas seulement les demandeurs », a lancé le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye, très applaudi par l’assemblée.
À Abidjan, sous les ors d’un forum désormais central dans l’agenda global des affaires, l’Afrique tente de se raconter autrement : non plus en terre d’opportunités à exploiter, mais en acteur souverain, structurant ses propres chaînes de valeur, ses propres normes, ses propres imaginaires économiques.
Un récit ambitieux, exigeant, qui, comme souvent sur le continent, devra se heurter à l’épreuve du terrain.