Autrefois, le travail forgeait l’homme, structurait la journée, ordonnait le sens. Aujourd’hui, il l’épuise, le disperse, l’anxieuse. Dans les open spaces vitrés de Berlin comme dans les bureaux feutrés de Paris, à Bruxelles, à Milan ou à Amsterdam, un même mot revient, presque murmuré comme une plainte moderne : burn-out. C’est le mal silencieux du XXIe siècle européen. Un épuisement diffus, nerveux, existentiel. Un mal du siècle déguisé en problème de RH.
Alors que les économies européennes célèbrent, statistiques à l’appui, une certaine stabilité post-pandémique, les individus, eux, vacillent. Le travail, censé être un facteur d’épanouissement, semble devenu source d’angoisse. Emails incessants, réunions stériles, pression de la performance, surveillance algorithmique, absence de reconnaissance… L’Europe, longtemps modèle du compromis social, devient paradoxalement un continent où le bien-être au travail s’effrite.
Il ne s’agit pas seulement de fatigue. Il s’agit d’un effondrement du sens. Le capitalisme numérique, agile et pressé, a remplacé les horaires fixes par des notifications permanentes, et la hiérarchie claire par une horizontalité floue qui ne protège plus. Même dans les entreprises dites « bienveillantes », le stress est devenu structurel. On vous propose du yoga le midi, mais on attend de vous que vous répondiez à un mail à 22h.
Les pays nordiques, que l’on cite volontiers en exemple, ne sont pas épargnés. La Suède voit exploser les congés pour fatigue mentale. En Allemagne, le présentéisme discret continue de dominer. En France, on prend des antidépresseurs entre deux réunions. Le « travail qui fait mal » n’est plus l’apanage de la chaîne d’assemblage ; il est devenu le quotidien du consultant, du fonctionnaire, du créatif — tous également cernés par la tyrannie de l’utilité.
Pourquoi cette dégradation ? Parce que le travail s’est désincarné. Il ne relie plus à une communauté, à une finalité partagée. Il s’atomise. Et dans une société où l’identité passe encore trop souvent par le statut professionnel, ce vide prend des allures de crise existentielle. On ne sait plus pour qui, pour quoi, ni même avec qui on travaille.
La réponse institutionnelle ? Le « bien-être au travail », transformé en mantra managérial. Des Chief Happiness Officers, des séminaires de développement personnel, des open bars à granola bio. Mais rien sur la charge réelle, les salaires, la précarité, l’isolement, l’ennui. C’est l’illusion du soin sans la réalité de la réforme.
L’Europe doit s’interroger. Si le travail est devenu une source de mal-être profond, ce n’est pas un accident, c’est un symptôme. D’un rapport au temps, à l’identité, à la valeur humaine. Peut-être le moment est-il venu, non pas de moins travailler, mais de mieux penser ce que nous appelons encore, un peu mécaniquement, “emploi”.
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