Le 30 août 2023, le Gabon s’est réveillé sans président Bongo à sa tête pour la première fois depuis plus d’un demi-siècle. Dans un geste rare sur le continent, l’armée a destitué Ali Bongo Ondimba, élu dans des conditions contestées, mettant un terme à plus de cinquante-cinq ans de pouvoir familial. À la tête du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI), le général Brice Oligui Nguema incarne depuis une promesse de renouveau. Mais peut-on réellement rebâtir la République sous l’uniforme ?
Une rupture avec le passé… encadrée par les militaires
Le renversement d’Ali Bongo a été salué dans les rues de Libreville par une foule en liesse. L’ère Bongo, faite de captation des ressources pétrolières, de clientélisme et d’institutions figées, semblait enfin toucher à sa fin. Oligui Nguema, ancien chef de la garde républicaine et figure de l’appareil sécuritaire, a promis une transition exemplaire : réforme des institutions, nouvelle Constitution, élections libres.
Un an plus tard, ces promesses ont partiellement pris forme. Le référendum constitutionnel de novembre 2024 a été approuvé à plus de 90 % et visait à restaurer la séparation des pouvoirs, renforcer les contre-pouvoirs et moderniser le fonctionnement de l’État. Mais la rapidité avec laquelle Brice Oligui Nguema s’est présenté à l’élection présidentielle d’avril 2025 — qu’il a remportée avec 94,85 % des voix — a fait naître de nouveaux soupçons.
Légitimité électorale vs. concentration du pouvoir
La nouvelle Constitution, préparée sous sa transition, concentre désormais un grand pouvoir exécutif entre les mains du président. Si le scrutin a affiché un taux de participation de 70 %, les observateurs, prudents, notent l’absence d’une opposition véritablement structurée, affaiblie par des décennies de verrouillage politique. Le processus électoral, même encadré par une réforme, reste suspecté d’avoir bénéficié au candidat du pouvoir sortant.
Nguema n’a pas renié son identité militaire. Il gouverne avec le soutien étroit de la garde républicaine, renforçant l’idée d’un régime à coloration autoritaire, dissimulé sous un vernis démocratique. L’engouement populaire initial pourrait ainsi se heurter à la verticalité du pouvoir désormais institutionnalisé.
Une stratégie économique axée sur la diversification
Sur le plan économique, le président affiche des ambitions louables. Il entend sortir le Gabon de sa dépendance au pétrole, développer l’agriculture, la transformation locale des matières premières et l’investissement dans les infrastructures. La jeunesse, qui représente la majorité de la population et subit un chômage endémique, est placée au cœur du discours présidentiel.
Mais les marges de manœuvre sont étroites : la dette publique est élevée, les recettes fiscales restent dépendantes du secteur extractif, et les inégalités territoriales persistent. Pour l’instant, les grandes lignes stratégiques sont plus visibles que les transformations concrètes.
Le défi : restaurer l’État sans reproduire ses travers
Le terme de “restauration”, omniprésent dans les discours du président, a une double fonction : il rassure les élites conservatrices inquiètes d’un changement brutal, tout en promettant aux citoyens une réparation des injustices passées. Mais le mot est ambigu. Restaurer quoi, et au profit de qui ? La verticalité militaire, présentée comme garante de la stabilité, pourrait étouffer la vie démocratique naissante si elle se prolonge indéfiniment.
Brice Oligui Nguema incarne aujourd’hui une figure hybride : militaire éclairé ou président fort à l’ancienne ? Le peuple gabonais, trop longtemps écarté des processus de décision, attend des résultats tangibles, une amélioration réelle de ses conditions de vie, et une ouverture politique authentique.
Le Gabon entre ainsi dans une ère incertaine : débarrassé du carcan Bongo, mais pas encore affranchi des logiques d’accaparement du pouvoir. L’espoir est là — fragile, exigeant, surveillé. À Nguema de prouver que le mot “restauration” peut aussi signifier renaissance.