Rarement une figure politique française aura autant polarisé l’opinion que celle de Nicolas Sarkozy. Quinze ans après son départ de l’Élysée, l’ancien président continue de hanter les débats, tantôt convoqué comme modèle par une droite orpheline d’incarnation, tantôt critiqué pour ses excès de langage et son style jugé « clivant ». Mais au-delà des controverses, une question s’impose à mesure que l’Europe entre dans une ère de mutations accélérées : Nicolas Sarkozy a-t-il été un précurseur de la politique contemporaine européenne ?
Une intuition du basculement
Élu président en 2007, Nicolas Sarkozy prend ses fonctions au moment où le Vieux Continent commence à vaciller. Crise des subprimes, tensions migratoires, déclin de l’autorité politique traditionnelle : tout s’annonce déjà. Loin d’une posture attentiste, Sarkozy choisit l’activisme. Sur la scène internationale, il impose un tempo nouveau. Il est de tous les fronts : médiateur dans le conflit russo-géorgien, moteur dans la refondation du Traité de Lisbonne, artisan de l’Union pour la Méditerranée.
Ce tropisme interventionniste, parfois jugé brouillon, se révèle pourtant prophétique. À bien des égards, l’hyperprésidence qu’il inaugure – mélange de communication permanente, de diplomatie spectacle et de centralisation de la décision – annonce le tournant présidentialiste que l’on observe aujourd’hui dans de nombreuses démocraties européennes, de Giorgia Meloni en Italie à Pedro Sánchez en Espagne, sans oublier le modèle d’Emmanuel Macron lui-même, dont le style jupitérien n’est pas sans rappeler celui de son prédécesseur.
Un discours sur l’identité et les frontières
Sarkozy a également été l’un des premiers à saisir que la question identitaire allait structurer durablement les débats européens. Dès son discours de Dakar en 2007 ou ses prises de position sur l’immigration choisie, il impose une rhétorique de la frontière, du mérite et de l’autorité qui résonne aujourd’hui dans les discours de la droite continentale. Il est aussi l’un des rares dirigeants français à avoir entretenu un dialogue suivi avec les leaders conservateurs d’Europe centrale, perçus à l’époque comme marginaux, mais qui, depuis, ont pesé lourdement sur les choix de l’Union.
La polémique, certes, n’est jamais loin. Ses positions sur le burkini, l’identité nationale ou la déchéance de nationalité ont pu nourrir des fractures profondes au sein de la société française. Mais l’archétype du leader conservateur, républicain, réformiste et populiste à la fois – que d’aucuns croyaient incompatible avec les traditions françaises – est désormais pleinement intégré au paysage européen.
Le legs d’un style politique
Enfin, le sarkozysme aura légué une méthode : celle d’un chef qui assume le conflit, qui polarise pour mieux rassembler ses soutiens. Une rupture nette avec le consensus mou d’une certaine technocratie européenne. Sur ce point, il anticipe ce qui deviendra une norme dans les années 2020 : la fin des discours de neutralité, la personnalisation extrême du pouvoir, la mise en scène de l’autorité. Il ouvre la voie à une politique plus directe, parfois brutale, mais en prise avec les émotions populaires.
Il serait sans doute excessif de faire de Nicolas Sarkozy le seul inspirateur de la politique contemporaine européenne. Mais il a, sans conteste, senti avant d’autres le déplacement des plaques tectoniques. À une époque où l’Europe hésite entre intégration et repli, entre libéralisme tempéré et autorité assumée, le sarkozysme apparaît, avec ses paradoxes, comme une matrice – incomplète, certes – d’un nouveau cycle politique.
Et s’il avait simplement eu raison trop tôt ?