C’est un paradoxe saisissant, presque une fable contemporaine : à mesure que nos machines deviennent plus intelligentes, certains espèrent qu’elles nous pousseront à redevenir… plus humains. Face à l’irrésistible montée de l’intelligence artificielle dans nos sociétés – de ChatGPT à la robotisation des soins, des algorithmes de justice aux assistants personnels – une question s’impose, aussi vertigineuse qu’essentielle : et si l’IA, loin de déshumaniser le monde, nous aidait au contraire à sortir de notre égoïsme structurel ?
Une machine comme miroir moral ?
L’IA fascine et inquiète. Elle imite nos mots, nos gestes, nos décisions. Mais ce mimétisme algorithmique agit aussi comme un miroir, et souvent, ce qu’il reflète n’est pas flatteur : biais racistes, automatisation de l’indifférence, dilution du lien social. Pourtant, c’est précisément en mettant en lumière ces angles morts que l’IA peut déclencher une forme de prise de conscience. Voir nos préjugés reproduits par des lignes de code rend leur absurdité plus criante encore.
À force d’être confrontés à des machines qui “pensent” vite mais ne “ressentent” rien, les humains pourraient redécouvrir la valeur de ce qui échappe à la logique pure : l’empathie, la nuance, la tendresse, la faiblesse même. L’IA, en nous remplaçant partiellement, nous oblige à nous demander ce qui fait notre singularité. Et peut-être, à la revendiquer plus fort.
Moins de tâches, plus de liens ?
L’espoir, chez certains penseurs de la technologie comme chez de nouveaux utopistes sociaux, est le suivant : si l’IA prend en charge les tâches les plus ingrates, répétitives ou techniques, cela libérera du temps pour l’humain — pas seulement pour produire, mais pour s’écouter, dialoguer, réparer. Un retour du soin, du collectif, de la lenteur. En somme, une société moins centrée sur l’efficacité brute, plus tournée vers la relation.
Mais cet espoir reste fragile. Car il suppose que les gains de productivité soient redistribués, que les temps libérés ne soient pas aussitôt réinvestis dans de nouvelles injonctions à la performance. Or, aujourd’hui, l’IA est encore le bras armé d’un capitalisme de surveillance plus qu’un ferment de solidarité.
Une boussole éthique nécessaire
L’IA ne rendra pas l’humanité plus humaine par magie. Elle ne porte en elle ni vertu, ni vice. Elle amplifie, révèle, catalyse. Elle peut être un outil de contrôle ou un instrument d’émancipation. Elle peut nourrir l’égoïsme – en servant les plus riches, en renforçant les bulles cognitives – ou stimuler l’altruisme – en personnalisant l’éducation, en facilitant l’accès aux soins.
Ce qui fera la différence, ce n’est pas la puissance de la machine, mais la lucidité des humains qui la programment et l’utilisent. C’est dans nos choix collectifs – politiques, culturels, éthiques – que réside la réponse à cette question.
Alors, est-ce que l’IA peut nous rendre moins égoïstes ? Peut-être. Mais seulement si nous acceptons de la regarder non comme une solution, mais comme une épreuve. Un révélateur. Et une opportunité : celle, peut-être, de réinventer l’humain, non pas contre la machine, mais à travers elle.