Bruxelles – juin 2025.
Christine Lagarde n’est pas connue pour son goût de l’invective. Lorsqu’elle parle, c’est avec la gravité mesurée d’une technicienne des équilibres, d’une européenne de conviction. Et pourtant, ce week-end, ses mots ont claqué comme une réplique sèche à l’outrance trumpienne : « L’Union européenne n’a pas été construite pour nuire aux États-Unis. » Une phrase simple, mais lourde de sens, dans un climat diplomatique où l’allié d’hier se redessine en partenaire incertain.
Trump, le soupçon comme doctrine
Depuis son retour au pouvoir, Donald Trump a repris sa partition favorite : celle de l’Amérique trahie par ses alliés, pressée d’honorer une alliance militaire trop coûteuse, victime de partenaires économiques « perfides » et de normes jugées absurdes. Dans une récente allocution à Des Moines, il dénonçait « les bureaucrates bruxellois qui étranglent notre agriculture et nos entreprises par des barrières cachées ». Une rhétorique bien connue, mais qui, cette fois, trouve un écho plus structurant : l’Amérique ne dissimule plus sa méfiance. Elle l’affiche.
Lagarde, une voix européenne pour les temps troublés
Dans ce contexte, Christine Lagarde, présidente de la BCE et ancienne directrice du FMI, s’érige en gardienne d’un dialogue transatlantique rationnel. En rappelant que l’Europe s’est construite pour conjurer la guerre — non pour entrer en guerre économique — elle réaffirme un socle de valeurs partagées : le droit, la coopération, la stabilité monétaire.
Mais derrière la fermeté de la forme, c’est une inquiétude de fond qui perce. Car si l’UE n’est pas née contre les États-Unis, l’Amérique de Trump semble désormais déterminée à repenser ses alliances comme des contrats léonins — à rompre ou renégocier.
Une relation asymétrique en mutation
L’Europe a longtemps vécu dans l’ombre protectrice de l’Amérique, comme une sœur cadette intellectuelle et commerciale. Mais les crises récentes — Covid, guerre en Ukraine, autonomie énergétique — ont renforcé une tendance déjà perceptible : l’émancipation stratégique du Vieux Continent. Une défense plus européenne (au moins sur le papier), des politiques industrielles plus affirmées, un euro qui se veut rempart face aux tempêtes du dollar.
De son côté, Trump cultive un isolationnisme à géométrie variable : protectionniste en économie, nationaliste en diplomatie, dominateur en matière militaire. Cette vision transforme l’allié d’antan en variable d’ajustement. D’où la tension nouvelle : l’Europe n’est plus l’intendante d’un ordre américain, mais elle n’a pas encore trouvé son statut d’actrice pleinement souveraine.
Vers un nouveau pacte atlantique ?
Ce que révèle l’échange Lagarde-Trump, c’est la lente désagrégation d’une vision romantique du lien transatlantique. L’Otan, le libre-échange, les droits de l’homme universels — autant de piliers ébranlés, voire relativisés, par la nouvelle donne mondiale. L’Europe doit apprendre à exister dans un monde où l’Amérique ne la considère plus comme son prolongement naturel, mais comme une entité concurrente, parfois gênante.
Lagarde, en rappelant les fondements historiques de l’Union, adresse un message au-delà de Trump : à la société civile, aux universitaires, aux diplomates — à ceux qui veulent encore croire que l’Atlantique n’est pas une frontière, mais une respiration commune.