Londres — Sous les ors de Westminster, le Premier ministre britannique a lancé, avec une emphase presque théâtrale, une nouvelle salve contre les passeurs, ces “smugglers” qu’il a promis de “traquer sans relâche” pour endiguer les arrivées de migrants africains via la Manche. Devant la Chambre des communes, le ton se voulait martial, presque personnel : « Nous allons nous occuper de vous ! », a-t-il asséné, dans une formule choc censée incarner la fermeté de son gouvernement face à une crise migratoire que Londres continue d’interpréter sous le prisme de la criminalité organisée.
Mais derrière cette rhétorique de guerre contre les passeurs, se dessine une vision plus trouble, plus ambiguë, où l’Afrique continue d’être lue à travers des filtres coloniaux à peine réactualisés : un continent de désordres, d’exodes incontrôlés, et d’individus anonymes venus mettre en péril les fragiles équilibres socio-économiques britanniques.
Une obsession insulaire à géométrie variable
Depuis le Brexit, la question migratoire est devenue en Grande-Bretagne un totem politique, réactivé à chaque pic électoral ou à chaque naufrage médiatisé dans la Manche. Les migrants africains y occupent une place centrale, à la fois fantasmée et instrumentalisée, réduits à des flux indifférenciés que l’on qualifie pêle-mêle de “clandestins”, “illégaux” ou “incontrôlés”.
Or, comme le rappellent nombre d’ONG et de chercheurs britanniques, les chiffres sont loin de correspondre aux discours anxiogènes diffusés dans l’opinion publique : la majorité des demandeurs d’asile africains en Grande-Bretagne sont issus de pays en guerre (Soudan, Érythrée, Somalie), fuyant des situations de persécution, de famine ou de chaos politique.
Mais le récit gouvernemental, simplificateur à dessein, préfère désigner des boucs émissaires faciles : les réseaux criminels de passeurs, désignés comme seuls responsables de ce désordre humain. Une posture qui permet d’éviter toute introspection sur les causes systémiques des migrations africaines et sur les responsabilités, passées ou présentes, de la politique britannique en Afrique.
Une vision postcoloniale à peine déguisée
Derrière cette stratégie d’externalisation des responsabilités, se dessine la persistance d’une lecture néocoloniale des migrations africaines, où le migrant est toujours pensé comme un corps à contrôler, à repousser, à dissuader, rarement comme un sujet porteur d’histoire, de droits ou de légitimité politique.
Cette posture n’est pas nouvelle : elle s’inscrit dans une tradition britannique d’approche utilitariste des migrations africaines, oscillant entre besoin économique et phobie culturelle, entre accueil intéressé et rejet violent. La figure contemporaine du “smuggler”, caricaturée en barbare des temps modernes, vient ainsi entretenir un imaginaire collectif où la migration africaine est toujours présentée comme une invasion préméditée, jamais comme une conséquence de déséquilibres mondiaux dans lesquels le Royaume-Uni continue d’avoir une part.
De la Manche au Rwanda : la diplomatie de la dissuasion
Dans cette logique, les politiques de dissuasion promues par Londres — du tristement célèbre projet d’externalisation des demandeurs d’asile vers le Rwanda aux opérations policières renforcées dans la Manche — s’inscrivent dans un continuum idéologique où l’Afrique est moins un partenaire qu’un problème à gérer à distance.
L’obsession britannique pour les passeurs devient ainsi un prétexte commode pour criminaliser les routes migratoires tout en évitant de regarder en face les responsabilités partagées, notamment en matière de politiques commerciales, d’extractivisme, ou de soutien à des régimes autoritaires sur le continent africain.
Une posture de puissance déclinante
Au fond, la rhétorique martiale de Downing Street semble surtout révéler les angoisses d’une puissance post-impériale confrontée à son propre déclassement géopolitique. Dans cette guerre déclarée aux passeurs africains, c’est aussi une guerre symbolique que mène la Grande-Bretagne : une tentative de restaurer, par le verbe et la posture sécuritaire, une autorité morale et politique qu’elle sait vacillante sur la scène mondiale.
Mais à force de nier les réalités complexes des migrations africaines, Londres risque, plus encore, d’enraciner son discours dans un isolationnisme stérile, déconnecté des interdépendances globales qu’exige le XXIe siècle. Et, comme souvent, c’est dans les interstices de cette posture défensive que prospèrent les véritables trafiquants, qui n’ont que faire des indignations parlementaires et des slogans électoralistes