Washington — Sous les lustres dorés du département d’État américain, la scène avait des allures de grand théâtre diplomatique. Vendredi 25 avril, la République démocratique du Congo et le Rwanda ont paraphé, en présence des émissaires américains et qataris, une déclaration de principes engageant les deux États à « respecter mutuellement leur souveraineté » et à « s’abstenir de tout soutien aux groupes armés opérant sur leurs territoires respectifs ».
À première vue, l’image est rassurante : les ministres des Affaires étrangères, Thérèse Kayikwamba Wagner pour Kinshasa et Olivier Nduhungirehe pour Kigali, échangeant sourires crispés et poignées de main calculées. Mais derrière la gestuelle diplomatique, l’ombre d’une guerre larvée continue de hanter l’est de la RDC, théâtre d’un conflit hybride mêlant groupes rebelles, ingérences régionales et rivalités minières.
Un cessez-le-feu en trompe-l’œil ?
Cet accord, soutenu par les États-Unis et le Qatar, intervient dans un contexte où les offensives du M23, groupe rebelle que Kinshasa accuse de collusions directes avec le Rwanda — accusation que Kigali nie systématiquement — ont ravivé les tensions régionales. Depuis plusieurs mois, Washington multiplie les initiatives discrètes pour tenter de pacifier la région des Grands Lacs, consciente que le chaos du Kivu nuit désormais directement à ses ambitions stratégiques dans les chaînes d’approvisionnement en minerais critiques.
Pour les diplomates présents à Washington, cette déclaration de principes relève autant de l’affichage que du pragmatisme minimaliste : il s’agit, selon les mots du secrétaire d’État Marco Rubio, « de créer un espace politique pour la désescalade », sans pour autant nourrir d’illusions sur une paix réelle à court terme.
Une région piégée entre rivalités minières et agendas sécuritaires
Car le cœur du problème reste inchangé : le contrôle — direct ou indirect — des gisements colossaux de cobalt, de cuivre et de lithium de l’est congolais. Dans cette équation, les groupes armés ne sont pas que des belligérants irréguliers : ils sont aussi, souvent, les supplétifs d’une géopolitique économique mondiale où Pékin, Washington, Kigali et Kinshasa se livrent une guerre d’influence feutrée mais implacable.
Derrière les promesses de désescalade sécuritaire, les négociations les plus sensibles portent sur les futurs accords bilatéraux de coexploitation minière, avec en filigrane, la volonté américaine de marginaliser les entreprises chinoises, aujourd’hui dominantes sur ces filières stratégiques.
Une paix en trompe-l’œil ou un réalisme assumé ?
Pour les observateurs de la région, ce texte signé à Washington n’est qu’une étape liminaire d’un processus de paix complexe et incertain, où les déclarations de bonnes intentions cohabitent avec une réalité militaire et économique qui reste, elle, profondément instable.
La communauté internationale tente d’imposer un canevas de suivi, via un comité conjoint et la supervision de l’Union africaine, mais les précédents accords de Nairobi et de Luanda ont appris aux plus prudents à relativiser la portée de ces gestes symboliques.
« Nous sommes ici face à une diplomatie de façade, typique de la grammaire internationale des conflits gelés », confiait, en marge de la cérémonie, un diplomate européen. Derrière les signatures, l’histoire coloniale, les humiliations mémorielles, les rivalités économiques et la faillite des États faibles demeurent les véritables acteurs du drame congolais.
Vers une pax minéralium ?
Pour Washington, au-delà des apparences pacificatrices, il s’agit d’éviter que le chaos ne déstabilise davantage les marchés mondiaux des minerais critiques. Si la paix est encore un mirage, le « statu quo sécurisé » est déjà, pour beaucoup, un objectif réaliste : que les flux de cobalt et de cuivre continuent d’irriguer les usines de batteries américaines et européennes sans perturbations majeures.
Au fond, plus qu’une paix véritable, c’est sans doute une pax minéralium que cherche aujourd’hui à imposer, discrètement, la diplomatie américaine. Une paix des affaires sous perfusion sécuritaire.