Il y a dans l’époque un parfum de déjà-vu, une manière si française de croire que la vérité pourrait être organisée, administrée, presque régulée comme un domaine public. La récente sortie d’Emmanuel Macron — vidéo à l’appui — visant Pascal Praud et Philippe de Villiers, a rallumé la mèche d’un vieux fantasme politique : celui d’un État arbitre des bons et des mauvais locuteurs, dépositaire officiel du sens commun et garant autoproclamé du “juste récit”.
Il faut bien le dire : qu’un chef de l’État, fût-il convaincu de sa hauteur de vue, s’aventure dans la labellisation des médias relève d’une posture à la fois désuète et dangereuse. Désuète, parce qu’elle fait écho aux rêveries technocratiques du début des années 2010, où l’on croyait qu’un tampon numérique pourrait réparer le chaos cognitif. Dangereuse, parce que tout ce qui touche à la liberté de la presse, dès qu’il vient d’en haut, prend immédiatement les couleurs de la propagande.
La tentation du “ministère de la vérité”
Il ne suffit pas d’invoquer Orwell pour matérialiser un péril démocratique, mais il suffit qu’un président pointe du doigt un média pour que la comparaison devienne troublante. À l’heure où chacun se vit victime du « système » ou du « mainstream », un label accordé par l’État n’a plus rien d’un outil technique : c’est un stigmate idéologique.
La question fondamentale demeure : qui labellise les labellisateurs ?
On croyait avoir réglé cela en 1881, avec la responsabilisation juridique et l’existence d’un directeur de publication. Mais depuis que la sphère médiatique a explosé — plateformes, chaînes d’opinion, influenceurs et micro-réseaux — la tentation renaît : redonner à quelques-uns le privilège du commentaire légitime.
Une idée née sous de meilleurs auspices
C’est pourtant injuste de réduire le débat à une querelle politicienne. La labellisation, dans sa version initiale, avait été pensée par Reporters sans frontières en 2018 comme un mécanisme d’autorégulation, une sorte de déontologie augmentée : transparence économique, méthode journalistique, indépendance éditoriale. Rien de plus, rien de moins.
Ce n’était pas un procès en sorcellerie, mais une tentative, presque artisanale, de distinguer le travail sérieux du bruit numérique. Ce projet, RSF s’y est engagé avant de glisser, comme tant d’institutions, vers une posture idéologique trop marquée pour prétendre à la neutralité.
Le mal, dès lors, était fait : la confiance s’évaporait, l’outil devenait douteux.
L’impossible neutralité et le mirage de l’objectivité
Face au roman national de la “neutralité journalistique”, il convient de rester lucide. Non, aucun journal n’est neutre, et personne ne le demande vraiment. Le lecteur, souvent, cherche d’abord à être confirmé — non éclairé. L’objectivité parfaite relève du mythe, mais l’honnêteté intellectuelle, elle, demeure accessible.
Ce qui devrait compter, ce sont quelques principes simples, que les citoyens pourraient eux-mêmes manier comme des filtres :
- un média s’expose-t-il à la critique ?
- respecte-t-il les arguments adverses ?
- assume-t-il sa responsabilité éditoriale ?
Voilà un label plus fiable que toutes les commissions du monde.
La grande guerre culturelle française
L’affaire révèle surtout ce que la France vit depuis dix ans : une lutte à fronts multiples où chaque camp se vit minoritaire, assiégé, presque martyrisé. La droite parle de “bien-pensance”, la gauche d’“extrême droitisation”, et dans ce brouhaha, la presse devient champ de bataille. Bolloré serait un danger pour la démocratie, mais les milliardaires progressistes, eux, seraient des mécènes éclairés. L’asymétrie est devenue un réflexe, presque un confort moral.
Dans ce climat saturé, la parole présidentielle ne surplombe plus rien : elle entre en compétition avec toutes les autres, et donc se politise immédiatement.
En définitive : la vérité n’a pas besoin de label, mais d’adultes
La France aime les institutions, les comités, les autorités indépendantes. Mais sur ce sujet, la solution n’est ni un label d’État, ni un sceau de vertu distribué par une ONG trop sûre de sa mission.
La solution, aussi banale qu’exigeante, tient en un mot : maturité.
L’information n’a pas besoin d’être certifiée ; elle doit être interrogée.
Et la démocratie n’a pas besoin d’un arbitre ; elle a besoin de lecteurs capables de penser contre eux-mêmes
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