Il est des phrases que l’on répète comme des formules magiques dans les salons parisiens, entre deux gorgées de Sancerre et un débat sur Tocqueville : “Israël est la seule démocratie de la région.” Déclinée en boucle par les chancelleries occidentales et les éditorialistes pressés, cette affirmation a l’allure d’un sauf-conduit moral. Une démocratie, dit-on, est nécessairement respectable. Et si elle est cernée par l’hostilité, alors toute critique devient suspecte, voire complice du chaos alentour.
Mais est-ce suffisant ? Être une démocratie au Moyen-Orient donne-t-il un blanc-seing moral ? Une immunité diplomatique ? Une permission tacite d’agir hors des cadres que l’on impose si rigoureusement à d’autres ?
Une démocratie sous tension
Oui, Israël est une démocratie. Avec des élections régulières, une presse vivace, une société civile fragmentée mais expressive, et un pluralisme institutionnel admirable si l’on se fie aux apparences. Mais c’est aussi une démocratie ethno-nationale, dans laquelle les droits sont encore profondément inégalitaires selon l’origine, le statut ou l’adresse.
En Cisjordanie, des millions de Palestiniens vivent sans citoyenneté, sous occupation ou en zone grise juridique. À Gaza, enclave bombardée et soumise à un blocus depuis près de vingt ans, l’idée même de “voisinage démocratique” relève du cynisme géopolitique. Et à l’intérieur même d’Israël, les citoyens arabes restent souvent des citoyens de seconde zone – tolérés, mais rarement écoutés.
Le double langage occidental
Le paradoxe est connu : ce que l’on n’accepterait jamais de la part de la Hongrie, de la Turquie ou de l’Inde – la surveillance de journalistes, l’extension illimitée de l’état d’urgence, l’annexion de territoires ou la limitation du pouvoir judiciaire – semble soudain “compliqué”, “historique” ou “hors contexte” lorsqu’il s’agit d’Israël.
Pourquoi ? Parce qu’Israël incarne, dans l’imaginaire occidental, le camp du Bien, celui des lumières, du droit, de l’Occident transplanté au Levant. Mais cette fidélité émotionnelle, nourrie par la mémoire de la Shoah et l’alliance stratégique américaine, rend aveugle à une réalité plus ambivalente.
Israël peut-il tout faire ? Non. Mais Israël fait, justement, en s’abritant derrière un statut démocratique qui, dans ce cas, devient un bouclier rhétorique plus qu’un engagement moral.
L’impunité par comparaison
En étant “la seule démocratie de la région”, Israël bénéficie d’une comparaison biaisée. Il ne s’agit plus de juger ses actes en soi, mais en creux : “regardez les autres !” — comme si la violence d’un voisin légitimait la sienne. Or, la démocratie ne peut pas être un label figé. Elle doit être une exigence constante, y compris (surtout) lorsqu’on prétend en être le phare.
La vraie question n’est donc pas “Israël est-il une démocratie ?” mais : qu’en fait-il ? Gouverner en démocratie n’est pas une dérogation morale. C’est une responsabilité supplémentaire. Et ce que l’on fait au nom de la démocratie engage l’idée même de démocratie dans le monde.
Conclusion ? Israël est une démocratie. Oui. Mais ce statut ne doit pas devenir un sésame éthique. Car à force de lui accorder le bénéfice du doute au nom de ses institutions, l’Occident court le risque de discréditer l’idée démocratique elle-même, en la transformant en simple argument de géopolitique. Et ça, c’est peut-être le vrai danger.
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