Introduction
En 2025, dix années auront suffi à transformer un rêve industriel en réalité technologique. Lors de l’IDEF 2025, le Professeur Mahmut Akşit, directeur général de TEI (TUSAŞ Engine Industries), a présenté au grand public les derniers fruits d’un effort industriel ininterrompu : des moteurs conçus, testés, produits et désormais prêts à équiper drones, hélicoptères, avions, et même avions de chasse furtifs. Cet article retrace cette métamorphose, à la croisée de l’ingénierie, de la résilience stratégique, et de l’ambition nationale.
D’une page blanche à un musée vivant
Il y a une décennie, aucun moteur véritablement turc n’occupait les stands des salons internationaux. En 2025, TEI expose fièrement des moteurs d’IHAs, d’hélicoptères, d’avions, tous conçus en Türkiye. L’un de ces moteurs, pionnier du vol sur Gökbey, sera même conservé comme pièce historique à l’entrée du siège de TEI. Cette pièce n’est pas qu’un objet d’exposition : elle incarne une décennie de lutte technologique.
Le processus d’endurance – “canını okumak”
Les moteurs, comme l’explique Mahmut Akşit, sont poussés à leurs limites : testés des dizaines de fois selon les normes EASA, portés jusqu’à 1800 chevaux pour un moteur conçu initialement pour 1400. Le but est clair : prouver leur robustesse avant même la certification. Ces tests volontairement extrêmes permettent de garantir une fiabilité indispensable à toute motorisation aérienne, notamment pour des appareils à moteur unique comme les drones ou certains avions légers.
Du prototype à la production – Le TS1400 et ses implications
Le moteur TS1400, destiné aux hélicoptères Gökbey, a passé avec succès toutes les phases critiques. La phase de négociation de prix, la planification des volumes de production, et les étapes de certification sont quasiment achevées. En 2025, la Türkiye entre dans une phase de production en série avec, en toile de fond, l’ambition de devenir exportatrice de moteurs certifiés.
Le TF6000 – Vers la suprématie dans les turboréacteurs
Dévoilé au salon IDEF, le TF6000 est un turboréacteur militaire destiné aux avions subsoniques et aux drones comme Kızılelma (premières versions). Il constitue le premier véritable moteur militaire à réaction conçu localement. Sa version améliorée avec post-combustion, le TF10000, vise les avions supersoniques et furtifs. Le challenge est immense : offrir une poussée supérieure tout en réduisant la traînée thermique pour rendre l’appareil invisible aux radars infrarouges.
PD170 – Le piston qui dépasse les nuages
Le PD170 est l’un des succès les plus éclatants de TEI. Conçu pour les drones de haute altitude comme Aksungur, il a permis à ce dernier d’atteindre 40 000 pieds, un record pour un moteur à piston. C’est d’autant plus remarquable que les concurrents mondiaux plafonnent à 25-30 000 pieds. Ce saut technologique consacre la Türkiye comme pionnière dans les motorisations pour drones à longue endurance.
KAAN et la 5e génération – Un moteur pour changer de paradigme
Le chasseur furtif KAAN est en phase avancée d’intégration. Problème : il ne pourra être classé 5e génération qu’avec un moteur conçu pour la furtivité. Or, le F110 américain actuellement utilisé trahit l’appareil dans l’infrarouge. Le TF10000 est donc crucial. Il doit garantir une poussée supersonique tout en restant discret. Le développement suit un rythme rapide, plus soutenu que celui du moteur EuroJet (17 ans de R&D), selon Mahmut Akşit.
Quand l’armée inspire le civil
Les moteurs de TEI ne se limitent pas au domaine militaire. L’objectif à court terme est de transférer les innovations vers les turbines à gaz, les générateurs industriels et les centrales thermiques. En 2025, un partenariat avec l’entreprise publique EÜAŞ permet d’implanter localement les turbines issues de cette technologie, en particulier les composants critiques comme les aubes mono-cristallines.
Une vision stratégique, un écosystème intégré
L’ambition turque ne se limite pas à produire des moteurs performants ; elle vise à créer un écosystème industriel complet et souverain. Mahmut Akşit insiste sur ce point : la Türkiye ne se contente plus d’assembler, elle conçoit, teste, industrialise, et certifie. Pour y parvenir, TEI a mis en place un réseau dense de fournisseurs, universités partenaires, laboratoires de R&D et centres de formation technique.
L’objectif est de maîtriser chaque étape de la chaîne de valeur, des alliages spéciaux jusqu’aux logiciels embarqués. Par exemple, des matériaux auparavant importés sont désormais produits localement, parfois avec une qualité supérieure, comme les aubes de turbine en monocristaux développées à Eskişehir. La Türkiye devient ainsi indépendante non seulement sur le plan technologique, mais aussi dans sa capacité à entretenir, réparer, et faire évoluer ses systèmes.
Des moteurs pour exporter une puissance
Avec la maturité industrielle, l’étape suivante est évidente : exporter. Et pas uniquement les moteurs. En 2025, les drones Anka, Aksungur, Bayraktar TB3 et Kızılelma, équipés de moteurs turcs, sont proposés avec des chaînes d’approvisionnement totalement nationalisées. Cela rassure les acheteurs potentiels, notamment ceux confrontés à des restrictions occidentales.
Plusieurs pays d’Asie centrale, d’Afrique et du Moyen-Orient ont déjà exprimé leur intérêt pour des systèmes complets « Made in Türkiye », comprenant avion + moteur + armement. Une première dans l’histoire du pays. Le moteur devient ainsi un levier géopolitique à part entière, synonyme d’indépendance et de prestige technologique.
Le défi de la certification internationale
Pour s’imposer mondialement, il ne suffit pas d’avoir de bons moteurs : il faut qu’ils soient reconnus. TEI s’attelle donc à obtenir des certifications européennes (EASA) et américaines (FAA), notamment pour ses moteurs civils comme le TS1400. Ce processus, souvent long et bureaucratique, est désormais anticipé dès les phases de conception.
En parallèle, la Türkiye développe ses propres standards, via son agence nationale d’aviation, ce qui permet d’accélérer les déploiements militaires tout en respectant des critères de fiabilité. Le but est double : se libérer des dépendances réglementaires et, à terme, devenir une référence régionale de la certification aéronautique.
Une décennie décisive – Ce que 2025 annonce pour 2035
Si 2015-2025 fut une décennie de construction, 2025-2035 sera celle de la consolidation. TEI prévoit déjà une nouvelle génération de moteurs à haut rendement, adaptés aux avions furtifs, aux UCAVs de grande autonomie, et aux avions civils régionaux. Le développement de moteurs « green-compatible » est également lancé, intégrant des biocarburants et des systèmes hybrides.
Le rêve n’est plus seulement national. Il est mondial. En une décennie, la Türkiye est passée du statut de client dépendant à celui de développeur indépendant. Dans la propulsion aéronautique, elle ne rattrape plus le peloton : elle prend désormais les devants.
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