Khartoum – Washington – Addis-Abeba — Tandis que l’attention médiatique internationale se focalise sur Gaza, Taïwan, ou l’Ukraine, le Soudan s’enfonce dans une guerre civile silencieuse. Plus de 14 millions de personnes déplacées, des villes rasées, une famine annoncée, et presque aucun écho à Washington. La première puissance mondiale semble avoir tiré un trait sur un conflit africain pourtant emblématique des désordres du XXIe siècle.
Le Soudan n’est plus seulement oublié. Il est abandonné. Et l’oubli, ici, n’est pas une simple distraction : il est un choix géopolitique.
Une guerre totale, dans un silence stratégique
Depuis avril 2023, deux factions militaires rivales — l’armée régulière du général al-Burhan et les Forces de soutien rapide du général Hemedti — s’affrontent dans une guerre sans merci. Civils massacrés, services de santé effondrés, organisations humanitaires attaquées : le Soudan est devenu le laboratoire sinistre d’une implosion d’État.
Et pourtant, l’administration américaine semble s’en tenir à un rôle de spectateur distrait. Quelques sanctions ciblées, quelques communiqués prudents… mais aucune initiative diplomatique sérieuse, aucun plan de médiation durable, aucune pression économique ou militaire.
Une Afrique hors champ, un réalisme froid
Pourquoi cette indifférence ? Parce que, répondent cyniquement certains analystes, le Soudan n’est ni stratégique, ni rentable. Ni gazoduc, ni base militaire américaine. Ni lobby puissant à Washington, ni électorat mobilisé. Le Soudan n’a pas la charge symbolique d’Israël, ni la menace nucléaire de l’Iran, ni la proximité culturelle de l’Ukraine.
L’Amérique de 2025 regarde l’Afrique avec la lassitude d’un empire fatigué. On y craint le terrorisme, on y surveille les Russes et les Chinois, mais on n’y construit plus de récit ni de projet.
Cette indifférence nouvelle tranche avec le moment Obama, où le continent — et le Soudan du Sud en particulier — bénéficiait d’un minimum de visibilité diplomatique. Aujourd’hui, sous Trump II, la boussole africaine s’est effacée, au nom d’un réalisme sans affect.
Une trahison de la parole occidentale ?
Mais cette désertion n’est pas qu’une affaire américaine. C’est aussi celle d’un Occident qui peine à penser l’Afrique autrement que comme un décor humanitaire ou un front sécuritaire. À quoi bon parler de démocratie, d’État de droit ou de stabilité quand la cinquième plus grande crise humanitaire du monde n’a même plus droit à un sommet ni à une tribune à l’ONU ?
Le Soudan, pourtant, est une métaphore violente de notre époque : des États faillis, des armées privatisées, des civils piégés, des puissances absentes. Et cette absence, justement, est peut-être le vrai scandale moral de notre temps.
L’Amérique et le poids de l’oubli
Ce que révèle l’abandon du Soudan par les États-Unis, ce n’est pas une politique extérieure défaillante. C’est une perte de vision. Celle d’un monde dans lequel la superpuissance américaine, même affaiblie, portait encore la fiction de l’ordre, de la stabilité, d’une certaine éthique de la responsabilité.
Aujourd’hui, l’oubli est la norme, l’Afrique un bruit de fond, et le Soudan une case vide sur la carte de la conscience occidentale. Mais un jour, cet oubli aura un coût. Il se paiera en vagues migratoires, en radicalisations silencieuses, en conflits régionaux contaminés.
Et alors, il sera trop tard pour se souvenir.