Ils sont là, partout, mais ailleurs. Assis dans les trains, les cafés, les amphithéâtres. Le regard baissé, les pouces en mouvement, les écouteurs vissés comme des prothèses sentimentales. Ils passent des heures à faire défiler des vidéos de 15 secondes, à “binger” des séries aux intrigues interchangeables, à scruter les stories d’inconnus comme on observe la météo intérieure d’une génération. Les jeunes, dit-on, ne lisent plus, ne rêvent plus, ne s’ennuient plus. Mais si c’était l’inverse ? Et s’ils étaient simplement en train de s’ennuyer — numériquement ?
L’ennui, autrefois, se vivait dans la lenteur, le vide, l’attente féconde. Aujourd’hui, il se consume dans l’excès. Ce n’est plus un manque, c’est une saturation. Défiler toute la journée sur TikTok ou Netflix n’est pas tant un plaisir qu’un réflexe. Le pouce glisse pour ne pas penser, le regard saute pour ne pas s’attarder. C’est une danse contre soi-même, une fuite permanente d’un présent qui ne suffit plus.
Le paradoxe est cruel : jamais une génération n’a eu autant de contenus, et rarement elle n’a semblé aussi désœuvrée. Car ce trop-plein est une manière raffinée de ne rien ressentir. On s’occupe, on s’affiche, on consomme l’image des autres comme un miroir flou de sa propre insatisfaction.
Et puis, il y a la pression. Subtile mais omniprésente. Celle de tout voir, tout commenter, tout partager — sous peine de disparaître. Les réseaux sociaux sont devenus le nouveau salon bourgeois : on y tient son rang, on y soigne sa réputation, on y surveille les autres avec l’ennui cruel des classes en représentation.
L’ennui d’hier invitait à la création ; celui d’aujourd’hui produit des contenus qui s’annulent. Il y a mille façons de se divertir, mais bien peu de moyens d’exister autrement que sous forme de flux.
Au fond, les jeunes ne s’ennuient pas parce qu’ils manquent de choses à faire. Ils s’ennuient parce qu’on leur a volé le silence. Parce qu’on leur a appris à combler chaque vide, à fuir l’absence, à être “connectés” plutôt que présents.
Et si le vrai luxe, aujourd’hui, n’était plus de tout voir, mais de pouvoir s’arrêter — sans avoir peur de rater ?
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