La scène devient familière, presque lassante dans sa répétition : un micro tendu, une déclaration creuse, un vernis de conviction aussitôt craquelé par le vide de la pensée. Et toujours, à l’arrière-plan, cette même victime expiatoire : la liberté d’expression. Malmenée, instrumentalisée, réduite à un slogan ou à un chiffon de rhétorique. Faut-il, indéfiniment, assister à ce bal grotesque sans hausser le ton ?
Car enfin, ce n’est pas tant la liberté d’expression qui vacille – elle est là, robuste, essentielle, charnelle même dans nos démocraties fatiguées – que sa compréhension même, son exigence intellectuelle, qui sont bafouées par ceux-là mêmes qui prétendent la défendre. À force de la brandir comme un talisman contre toute contradiction, la classe politique, toutes couleurs confondues, en fait un objet décoratif, sans tranchant, sans substance.
Il y a quelques décennies encore, la parole politique s’autorisait des nuances, des silences, parfois même des fulgurances philosophiques. Aujourd’hui, elle bredouille, elle tremble, elle s’excuse à l’avance ou s’enivre de son propre cynisme. Le langage se rétrécit comme une peau de chagrin, jusqu’à ce que la liberté d’expression devienne un terrain de jeu pour les approximations, les postures et les revanches personnelles. Un plateau télévisé suffit pour accuser, blanchir, condamner – et surtout pour esquiver la moindre responsabilité.
Mais peut-on sérieusement invoquer la liberté d’expression lorsqu’on se refuse à penser, à écouter, à débattre dans le respect des faits ? La liberté d’expression n’est pas l’alibi de la paresse intellectuelle, ni un totem pour les indignations à géométrie variable. Elle est un effort, une éthique, une maturité politique. Elle demande du courage, non des formules vides.
Il ne s’agit pas d’idéaliser un passé républicain qui n’a jamais été aussi pur qu’on le raconte – mais de réclamer à ceux qui gouvernent (ou aspirent à le faire) autre chose que ce théâtre des indignations automatiques. À quand un élu capable de dire : je me suis trompé ? Je ne sais pas ? À quand une prise de parole politique qui ne soit pas dictée par les sondages, mais par l’intelligence du réel et le respect de la langue ?
La liberté d’expression est précieuse non parce qu’elle permet de tout dire, mais parce qu’elle suppose qu’on pense ce qu’on dit, qu’on l’assume, qu’on le porte avec justesse. Laisser les politiciens continuer à la bafouiller, c’est en trahir l’esprit. C’est aussi, à terme, s’habituer à un silence bien plus dangereux que la parole maladroite : celui de la résignation
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