Ils étaient là, encore. Rue du Faubourg-Saint-Antoine, ou sur les berges d’Amsterdam, ou devant la Commission à Bruxelles. Des pancartes recyclées, des slogans revisités, des corps fatigués mais debout. Et cette question en creux, lancinante, presque existentielle : est-ce que ça sert encore à quelque chose ?
- Tout va plus vite. Les crises s’enchaînent comme des stories Instagram : climat, logement, IA, Palestine, retraites, racisme structurel, montée des extrêmes, précarité croissante. Tout le monde défile, tout le monde filme. Et pourtant, une étrange sensation d’impuissance flotte dans l’air, comme un parfum de jasmin fané sur un parvis bétonné.
La protestation, autrefois geste sacré — du cortège de Mai 68 aux Gilets Jaunes en passant par Act Up — semble désormais prise dans un paradoxe cruel : elle est plus visible, plus documentée que jamais, et pourtant, elle semble faire moins de bruit. Comme si le pouvoir, aguerri, avait appris à absorber la colère sans flancher, à répondre par des mots vides, des CRS méthodiques ou de simples silences.
Le poids des algorithmes, l’usure du geste
Protester aujourd’hui, c’est aussi entrer dans une chorégraphie que l’on connaît par cœur : story – pancarte – arrestation – thread – oubli. Le cycle est devenu prévisible, presque ritualisé. Et les algorithmes, arbitres invisibles de notre attention, décident de ce qui “monte” ou s’éteint dans la brume numérique. Un cri, pour être entendu, doit désormais se plier aux règles de TikTok.
Le politique, lui, s’est adapté. Gouverner en 2025, c’est surtout attendre que la vague passe. On lisse, on attend, on communique. La stratégie n’est plus de convaincre, mais de résister à la colère jusqu’à ce qu’elle s’épuise d’elle-même. Le militantisme devient alors une forme de poésie tragique : on ne se bat plus pour obtenir quelque chose, mais parce qu’il est impossible de ne pas le faire.
Alors pourquoi on continue ?
Peut-être parce que protester, ce n’est pas seulement vouloir changer le monde. C’est aussi ne pas laisser le monde nous changer entièrement. C’est poser un acte esthétique autant que politique. C’est se retrouver, corps à corps, dans un espace public qui tend à se rétracter. C’est faire mémoire. C’est dire « j’étais là ». Même si l’histoire ne s’en souvient pas, même si le pouvoir s’en fiche.
En 2025, protester n’est peut-être plus efficace dans le sens classique du terme. Mais c’est devenu une forme de résistance existentielle. Un acte de présence dans un monde d’effacement. Une manière de dire : je ne suis pas d’accord, même si vous m’avez déjà ignoré.
Peut-être que ça ne marche plus. Ou pas comme avant. Mais ça reste vital. Comme l’art. Comme l’amour. Comme la rage douce qu’on porte à bout de bras dans la foule, quand tout le reste semble s’effondrer.