Il s’infiltre dans les esprits les plus brillants, s’installe dans les discours les plus assurés, et murmure au creux de l’ambition : « Tu n’es pas à ta place. » Le syndrome de l’imposteur, longtemps cantonné aux cercles académiques ou artistiques, s’impose désormais comme une présence familière chez les entrepreneurs. Ceux qui montent une entreprise, dirigent une équipe, prennent des risques — mais doutent, parfois viscéralement, d’avoir le droit d’y être.
Dans une époque qui exalte l’audace, l’indépendance et l’innovation, reconnaître ce sentiment revient à exposer une vulnérabilité presque contre-culturelle. Pourtant, ils sont nombreux, ces fondateurs de start-up, créateurs de projets ou freelances, à avouer – souvent à voix basse – qu’ils avancent en se demandant s’ils trompent tout le monde. Non pas par malhonnêteté, mais parce qu’ils se sentent en décalage entre l’image qu’ils renvoient et la fragilité intérieure qui les traverse.
Mais que dit ce malaise de notre époque ? Peut-être, d’abord, qu’entreprendre aujourd’hui ne consiste plus seulement à créer une activité, mais à se mettre en jeu soi-même. Le rapport à l’entreprise devient intime, quasi existentiel. L’entrepreneur n’est plus un capitaine d’industrie lointain ; il est un individu en exposition constante, sur les réseaux, dans les pitchs, dans l’arène sociale. L’échec est public, le succès toujours provisoire. Dès lors, le doute s’immisce.
Ce syndrome révèle aussi un changement de paradigme : on ne se pense plus comme « légitime par statut », mais « légitime par performance ». Et quand tout change vite, quand les normes s’écrivent en marchant, comment ne pas douter de sa propre solidité ? Le chemin entrepreneurial devient un long exercice d’équilibre entre confiance et lucidité, entre authenticité et posture.
Pourtant, la donne semble évoluer. De plus en plus, les jeunes entrepreneurs partagent leurs incertitudes, leurs erreurs, leurs découragements. Ce n’est plus un aveu de faiblesse, mais une manière de tisser du lien. La parole se libère, et le syndrome de l’imposteur devient, paradoxalement, un point d’ancrage. Il humanise les trajectoires, éloigne le mythe de l’entrepreneur infaillible et ouvre un espace pour le sens.
Car c’est bien cela, au fond, que ce malaise révèle : une relation au travail qui cherche à signifier quelque chose. On ne veut plus seulement réussir, on veut que cela ait du sens. Douter de sa place, c’est souvent une manière de s’interroger sur la direction, sur la portée, sur la cohérence entre ce que l’on fait et ce que l’on est.
Le syndrome de l’imposteur n’est donc pas qu’un obstacle. Il peut être un signal, un point de départ vers une posture plus ancrée, plus habitée, moins spectaculaire. Un entrepreneur qui doute est peut-être, justement, un entrepreneur qui pense.
Avez-vous trouvé cet article instructif ? Abonnez-vous à la newsletter de notre média EurasiaFocus pour ne rien manquer et recevoir des informations exclusives réservées à nos abonnés : https://bit.ly/3HPHzN6
Did you find this article insightful? Subscribe to the EurasiaFocus newsletter so you never miss out and get access to exclusive insights reserved for our subscribers: https://bit.ly/3HPHzN6