À observer les discussions feutrées des salons de Davos aux arrière-cours numériques de la diplomatie sino-russe, une question, jadis théorique, revient avec insistance : le dollar américain est-il en train de perdre sa suprématie mondiale ? En ce milieu d’année 2025, le soupçon se fait murmure, et le murmure, début de constat.
Depuis l’après-guerre, la monnaie verte règne sans partage sur les échanges internationaux. Elle est le pétrole du système monétaire mondial. Or, à l’heure où la transition énergétique s’impose comme nouveau Graal géoéconomique, il n’est pas anodin que l’on scrute aussi les tremblements du pouvoir monétaire américain.
Des BRICS aux CBDC : le monde se réorganise
Le monde multipolaire que l’Occident feint encore parfois de décrire au conditionnel est déjà là. L’alliance BRICS+, élargie et bien décidée à se doter de ses propres instruments de règlement – une monnaie commune encore embryonnaire mais idéologiquement robuste – entend réduire sa dépendance au dollar. En parallèle, les monnaies numériques de banque centrale (CBDC) fleurissent, à commencer par le yuan numérique chinois, déjà massivement testé dans plusieurs provinces.
L’Europe, fidèle à son pas lent mais décidé, continue à rêver d’un euro renforcé, tandis que les pays du Golfe expérimentent des accords énergétiques libellés en dirham ou en yuan. L’idée d’un “monde post-dollar” ne relève plus de l’utopie, mais d’un horizon stratégique.
L’Amérique reste l’Amérique
Cependant, on aurait tort d’annoncer trop tôt la fin du roi-dollar. Car si la contestation gagne du terrain, elle ne saurait faire oublier les fondamentaux. Les bons du Trésor américain, même grevés par une dette abyssale, demeurent les actifs les plus sûrs en période d’incertitude. La liquidité du marché américain, sa profondeur, ses institutions juridiques solides et surtout, l’influence militaire et diplomatique des États-Unis, continuent d’assurer à leur monnaie un rôle central.
Comme le soulignait récemment Kenneth Rogoff, économiste à Harvard, « la fin de l’hégémonie du dollar sera un processus lent, graduel, sans effondrement spectaculaire – et peut-être même sans fin réelle ».
Un changement culturel autant que financier
Ce qui est peut-être plus inquiétant pour Washington, c’est la lente mutation culturelle en cours. À mesure que de nouvelles élites économiques émergent hors de l’axe transatlantique, la symbolique du dollar perd de sa superbe. Pour une génération montante d’entrepreneurs africains, de stratèges indiens ou de dirigeants d’Amérique latine, l’ancrage au dollar n’est plus un réflexe, mais une option – parfois encombrante.
Dans un monde où les équilibres se déplacent vers l’Est et le Sud, l’unipolarité monétaire semble en effet démodée. Mais dans cette comédie des puissances, le dollar demeure, pour l’instant, la langue commune.
Conclusion : un roi vieillissant, mais encore debout
Alors, 2025, crépuscule du dollar ? Pas encore. Plutôt un long soir d’été, tiède et doré, où les convives commencent à parler plus fort, les voix s’élèvent dans d’autres idiomes, et l’on pressent, sans se l’avouer tout à fait, que le monde change de maître. Le dollar reste assis à la table, mais il n’est plus seul à commander le vin.
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