Depuis quelques années, la Chine s’impose comme un acteur économique incontournable en Asie centrale, en particulier en Ouzbékistan. Alors que les investissements chinois s’intensifient dans divers secteurs stratégiques, l’opinion publique ouzbèke se polarise entre espoir de développement et crainte de perte de souveraineté. Un climat social tendu s’installe, poussant le gouvernement à gérer un délicat équilibre entre ouverture économique et stabilité nationale.
Une Coopération Économique de Plus en Plus Étendue
L’Ouzbékistan, sous l’impulsion du président Shavkat Mirziyoyev, a engagé une transformation structurelle de son économie. Depuis 2016, le pays s’est ouvert aux investissements étrangers, notamment ceux en provenance de Chine. Cette coopération s’est concrétisée par des accords bilatéraux dans les domaines de l’énergie, de l’agriculture, des infrastructures, et plus récemment, des technologies vertes.
Avec un volume d’échanges de plus de 13 milliards de dollars en 2024, la Chine est devenue le premier partenaire commercial de l’Ouzbékistan. Le statut de partenariat « tous temps » accordé à Pékin illustre la profondeur des liens tissés. Les entreprises chinoises sont aujourd’hui présentes dans presque tous les secteurs-clés du pays.
Méfiance Populaire et Montée de la Sinophobie
Malgré les chiffres encourageants, une part importante de la population ouzbèke exprime une inquiétude croissante face à l’influence chinoise. Des vidéos et rumeurs virales sur les réseaux sociaux ont suscité des réactions virulentes, alimentant la crainte que la Chine « achète » littéralement le pays. L’idée que les investisseurs chinois acquièrent des terres agricoles ou minières en Ouzbékistan a profondément choqué l’opinion publique.
Cette défiance repose sur des préoccupations multiples : souveraineté territoriale, respect des traditions culturelles, pression sur les entreprises locales, et crainte d’un endettement excessif vis-à-vis de Pékin.
Réaction du Gouvernement : Transparence et Pédagogie
Face à cette défiance populaire croissante, les autorités ouzbèkes ont renforcé leur communication. Officiellement, la loi interdit aux étrangers, y compris les Chinois, d’acheter des terres ou de posséder des biens immobiliers. Les investisseurs peuvent seulement signer des contrats de location à long terme.
Des personnalités publiques et des porte-paroles gouvernementaux ont ainsi multiplié les interventions pour calmer les esprits. « Il n’y a pas lieu de paniquer », a déclaré le porte-parole du gouvernement, Beksod Khidoyatov, en insistant sur la souveraineté pleinement respectée par Pékin. Les autorités rappellent également que les investissements chinois ont généré des milliers d’emplois, notamment dans les régions industrielles comme Jizzakh.
Un Pays Fragile, à la Croisée des Chemins
L’économie ouzbèke traverse une période critique. En proie à des pénuries d’eau affectant la production de coton, et après avoir cessé d’exporter du gaz, le pays est en quête de relais de croissance. Les revenus des transferts de fonds sont instables, et le déficit budgétaire croît. Dans ce contexte, les investissements étrangers, notamment chinois, sont vitaux.
La Chine, avec sa puissance de financement, apparaît comme une planche de salut. Toutefois, cette dépendance financière accrue pose un dilemme stratégique : comment profiter de la manne chinoise sans compromettre sa souveraineté économique ni nourrir les tensions sociales ?
Une Société Divisée : Nationalistes contre Libéraux
Le débat public révèle une fracture profonde. D’un côté, les « défenseurs de la souveraineté » dénoncent un néocolonialisme économique, craignant une perte de contrôle sur les ressources nationales et une atteinte à l’identité culturelle et religieuse. Ils s’inquiètent de la présence accrue de citoyens chinois dans l’espace public ouzbèke.
De l’autre, les partisans d’une modernisation libérale voient dans les investissements chinois une chance de combler le retard industriel et technologique. Selon eux, la concurrence pousse les entreprises locales à se professionnaliser, et l’État doit sortir de sa logique protectionniste pour permettre un développement durable.
Vers une Nouvelle Diplomatie Économique ?
La voie à suivre pour l’Ouzbékistan réside dans une diplomatie économique mesurée et transparente. Il est crucial que le gouvernement établisse des garde-fous législatifs pour encadrer les investissements, renforce les capacités des entreprises nationales, et engage un dialogue constructif avec la société civile.
L’objectif : faire évoluer la perception des investissements étrangers, et notamment chinois, d’une menace perçue vers une opportunité maîtrisée. À cette fin, une communication sincère, des mécanismes de contrôle clairs et une gouvernance inclusive sont indispensables pour maintenir la confiance publique tout en poursuivant les ambitions de croissance.