La question semble venue d’un autre siècle, presque d’une méditation stoïcienne : de quoi meurent les civilisations ? Pourtant, elle brûle aujourd’hui avec une acuité nouvelle, tragiquement contemporaine. Car si l’Europe ne s’effondre pas sous les assauts barbares, elle se fissure lentement, silencieusement, sous le poids de ses propres contradictions. Comme si, depuis la chute de Rome, le Vieux Continent répétait à intervalles réguliers la même scène : le raffinement précède la chute, l’abondance engendre la fatigue, et l’oubli du sens commun annonce le déclin.
Les Romains sont tombés, non pas tant parce qu’ils ont été envahis, mais parce qu’ils ont cessé d’y croire. À leur modèle, à leur autorité, à leur propre mythe. Leur empire s’est dissous bien avant de s’effondrer. Cette leçon, l’Europe moderne ferait bien de la méditer. Depuis un demi-siècle, elle vit dans un entre-deux : trop riche pour se réformer, trop affaiblie pour se projeter. Elle se regarde vivre, ironique et lasse, au lieu d’agir. Les idéaux s’émoussent, les institutions se bureaucratisent, les peuples doutent.
Aujourd’hui, la menace n’est plus gothique mais climatique, migratoire, technologique, parfois culturelle. Le dérèglement de la planète, la montée des extrêmes, le repli identitaire et le désenchantement démocratique forment un cocktail que même les optimistes peinent à diluer. L’Europe est fatiguée d’elle-même, comme si elle ne croyait plus à son propre avenir. Elle parle beaucoup de transition, mais ne tranche rien. Elle évoque la souveraineté, mais laisse ses dépendances s’accroître. Elle célèbre la culture, mais sacrifie les humanités. Elle protège des normes, mais échoue à transmettre des valeurs.
Sommes-nous donc à la veille d’une nouvelle chute ? Peut-être pas au sens spectaculaire que fantasment les collapsologues. Mais il existe une forme de mort douce des civilisations : celle qui passe par l’anémie, le confort devenu paralysie, le doute érigé en méthode. L’Europe d’aujourd’hui ressemble parfois à une bibliothèque splendide dont plus personne ne lit les livres. L’histoire, pourtant, a horreur du vide.
Face aux défis du XXIe siècle — écologiques, géopolitiques, numériques — l’Europe doit choisir : retrouver une volonté, ou s’installer dans le lent crépuscule des puissances trop polies pour se défendre. L’alternative est cruelle, mais elle est là : ou bien nous décidons d’être une civilisation qui agit, ou nous deviendrons un musée de civilisations qui furent.
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