Dans le ballet feutré des démonstrations technologiques et des poignées de main diplomatiques, le 55ᵉ Salon international de l’aéronautique et de l’espace du Bourget a, cette année encore, offert son lot de ruptures silencieuses. Mais parmi les multiples annonces — moteurs hypersoniques, cabines futuristes, systèmes autonomes — une silhouette discrète, presque anodine, a capté l’attention des observateurs les plus avertis : celle du « One Way Effector », le nouveau drone d’attaque présenté par le missilier européen MBDA.
Derrière cette dénomination presque poétique — comme arrachée à un roman de science-fiction — se cache une évolution majeure dans l’art de la guerre aérienne. Le « One Way Effector », ou « OWE » pour les initiés, est un drone kamikaze de nouvelle génération. Sa mission est claire : voler sans retour, pour ouvrir la voie aux avions de combat habités ou intercepter, en amont, les menaces aériennes ennemies. Un éclaireur létal, en somme, au service d’une stratégie de supériorité informationnelle et de saturation contrôlée.
Vers une nouvelle doctrine européenne du ciel
Loin des fureurs brutes du champ de bataille, MBDA propose ici un outil chirurgical, pensé comme un instrument de dissuasion et de protection à haute précision. Le OWE s’intègre parfaitement dans la logique du SCAF (Système de Combat Aérien du Futur), ce programme ambitieux franco-germano-espagnol censé incarner l’avenir de la souveraineté européenne en matière de défense aérienne. L’idée : composer un réseau d’interopérabilité où drones, satellites et chasseurs dialoguent en temps réel, dans une symphonie algorithmique pilotée par l’IA.
Ce drone kamikaze n’est pas une première mondiale — les États-Unis, Israël ou encore la Turquie s’en sont fait les chantres depuis plusieurs années. Mais MBDA entend y injecter une philosophie de la guerre proprement européenne : un équilibre entre dissuasion et proportionnalité, entre technologie de pointe et contrôle politique. Le OWE n’est pas une simple munition rôdeuse. Il est un acteur du ciel, capable d’anticiper, de cibler, voire d’auto-annuler sa mission en cas de changement tactique.
Un frisson éthique dans la machine
L’apparition du OWE soulève néanmoins des questions fondamentales, au croisement de l’éthique, du droit international et de la philosophie militaire. Que signifie la montée en puissance d’un armement qui, par essence, sacrifie son vecteur au service de sa mission ? Peut-on, au nom de la protection des pilotes et de la suprématie aérienne, déléguer à des machines la décision de frapper, voire de mourir ?
Chez MBDA, on répond par la prudence calculée : tous les scénarios d’engagement sont soumis à l’humain en dernière instance. Mais à l’heure où les conflits hybrides se multiplient — drones civils militarisés, frappes hors cadre — cette frontière devient poreuse.
Le Bourget 2025 aura donc été bien plus qu’un salon de prestige. Il aura été le théâtre discret d’une reconfiguration stratégique : celle d’une Europe qui, entre responsabilité politique et pragmatisme sécuritaire, entend ne plus être spectatrice de l’histoire militaire en train de s’écrire.