Paris, juin 2025.
L’Europe reste-t-elle le phare mondial en matière de soins de santé ? À l’heure où les États-Unis naviguent entre excellence technologique et fracture sociale, et où l’Asie investit massivement dans l’innovation médicale, le Vieux Continent continue de faire figure d’exception : accès quasi-universel aux soins, espérance de vie élevée, prise en charge publique structurée. Mais derrière cette vitrine civilisée, des fissures s’élargissent.
L’héritage social-démocrate : une promesse toujours vivace
De Stockholm à Lisbonne, en passant par Paris, Rome ou Berlin, la santé est perçue comme un droit et non comme un produit. Ce socle philosophique — hérité des Trente Glorieuses et des doctrines bismarckiennes ou beveridgiennes — confère à l’Europe un modèle unique : solidarité financière, régulation publique, égalité d’accès. C’est cette structure qui permet, aujourd’hui encore, à une retraitée grecque d’accéder à une chimiothérapie, ou à un ouvrier roumain de subir une opération cardiaque lourde sans hypothéquer son avenir.
Des classements flatteurs, mais à relativiser
Dans les classements de l’OMS ou de The Lancet, les pays scandinaves, la France, l’Allemagne ou les Pays-Bas trustent les premières places. Leurs citoyens vivent longtemps, leur mortalité infantile est faible, leur couverture vaccinale exemplaire.
Mais ces succès masquent des dynamiques fragiles : le manque chronique de personnel soignant, la pression sur les urgences, les déserts médicaux dans certaines zones rurales, ou encore les retards numériques dans la gestion administrative. L’excellence médicale ne garantit pas l’égalité territoriale ni la fluidité des parcours.
Avantages : un pacte social fort et une culture médicale exigeante
L’un des atouts européens demeure la confiance dans l’expertise médicale. Là où d’autres sociétés oscillent entre méfiance et privatisation, l’Europe continue de croire à la figure du médecin fonctionnaire, au service de tous. Les formations médicales y sont longues, sélectives, rigoureuses — ce qui garantit une qualité de soin élevée.
Autre avantage : l’intégration du soin dans une logique préventive. L’Europe privilégie les dépistages, les campagnes publiques, les politiques de santé mentale. À rebours de certains modèles hyper-performants mais curatifs, elle parie sur le temps long du soin et la proximité du généraliste.
Difficultés : bureaucratie, sous-financement et attractivité en berne
Mais tout n’est pas harmonieux. La bureaucratie hospitalière gangrène l’agilité des soins. Le corps médical, souvent épuisé, déplore les lourdeurs administratives, les logiques comptables, la perte de sens. La pandémie de Covid-19 a révélé un personnel à bout de souffle, et des structures parfois saturées.
Par ailleurs, l’attractivité des métiers du soin diminue. Entre salaires modestes, burn-out fréquents et désillusion bureaucratique, de nombreuses vocations s’éteignent. La crise des vocations infirmières en France, ou la fuite des jeunes médecins grecs vers l’Allemagne, en sont des symptômes criants.
Un modèle à défendre, mais à réinventer
Alors, les soins de santé en Europe sont-ils les meilleurs du monde ? Oui, si l’on considère l’idéal de solidarité et l’accès généralisé. Non, si l’on oublie que cet idéal s’érode. L’enjeu est désormais moins de vanter l’héritage que de réinventer l’architecture : plus de numérique, plus de coordination, plus d’écoute des soignants. Sans quoi ce modèle, longtemps exemplaire, pourrait devenir une nostalgie de papier.