L’Asie centrale n’est plus seulement un point sur une carte ; elle devient un pivot stratégique pour de nombreuses puissances. Lors de sa visite au Forum international d’Astana, la Première ministre italienne Giorgia Meloni a tenté de redonner un souffle politique à cette région en évoquant autant l’héritage de Marco Polo que les théories géopolitiques du début du XXe siècle. Mais cette référence à Halford Mackinder révèle surtout un malaise : celui d’un Occident en quête de cap dans une région en pleine mutation.
La résurgence d’un vieux paradigme pour une réalité nouvelle
En invoquant Mackinder et sa “théorie du cœur géopolitique”, Meloni tente de légitimer la présence italienne et européenne en Asie centrale. Mais utiliser un prisme colonial datant de l’ère des cuirassés pour décrypter une région enchevêtrée dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, les technologies vertes et l’intelligence artificielle semble désuet. Le geste trahit un certain manque de vision stratégique actuelle, une nostalgie intellectuelle qui peine à répondre aux défis contemporains.
Un discours ambitieux, des résultats flous
La Première ministre italienne n’est pas repartie les mains vides : des accords d’investissement totalisant 7 milliards d’euros ont été annoncés avec l’Ouzbékistan et le Kazakhstan. Pourtant, le contenu concret de ces accords reste vague. Derrière les grands mots – “dialogue ouvert”, “coopération interconnectée”, “transition énergétique” – peu d’indications précises sur les projets à venir ont émergé. L’impression générale reste celle d’un volontarisme rhétorique non encore transformé en feuille de route pragmatique.
Les attentes centre-asiatiques : produire, pas seulement fournir
Si l’Italie et ses partenaires occidentaux souhaitent réellement asseoir leur présence en Asie centrale, ils devront aller au-delà des promesses génériques. Les dirigeants ouzbek et kazakh sont clairs : ils ne veulent plus être seulement des fournisseurs de matières premières. Ils veulent industrialiser, transformer sur place, exporter des produits finis. Autrement dit : localiser les chaînes de valeur. Cela exige des transferts de technologie, des infrastructures robustes, et surtout, une coopération sur le long terme.
Des partenariats stratégiques, oui… mais structurés
L’une des rares propositions italiennes différenciantes concerne l’eau et l’agriculture – des secteurs cruciaux dans une région où les ressources hydriques s’amenuisent. Mais pour construire de véritables partenariats, l’Europe et les États-Unis doivent adopter une approche patiente, fondée sur l’écoute. Il ne suffit pas d’annoncer des “initiatives Global Gateway” ; il faut bâtir avec les acteurs locaux, former les talents, renforcer les capacités locales et offrir une alternative crédible à l’influence russe ou chinoise.
Réécrire la carte : vers une diplomatie du concret
Ce que réclament les capitales d’Asie centrale, c’est une diplomatie de substance. Des échanges éducatifs accrus, des dialogues techniques réguliers, une présence géologique pour cartographier les ressources, des projets visibles sur le terrain. Il ne s’agit plus seulement de relancer les routes de la soie ou de citer Marco Polo ; il faut co-construire les infrastructures de demain. Comme l’a souligné le président kazakh Tokayev : les menaces modernes ne sont plus seulement militaires – elles sont aussi climatiques, économiques, sociales. Et cela nécessite des partenaires engagés, visionnaires… et présents.