Alors que l’économie mondiale oscille entre incertitudes géopolitiques et tensions financières, la Turquie semble s’engager avec rigueur sur la voie d’une transformation économique profonde. Portée par une politique monétaire orthodoxe et une discipline budgétaire renforcée, l’initiative de désinflation conduite par le ministre turc des Finances, Mehmet Şimşek, prend une tournure résolument stratégique, privilégiant la stabilité à long terme sur la croissance immédiate.
Un programme économique crédible malgré des vents contraires
Mehmet Şimşek l’a affirmé devant l’Assemblée générale de l’Association des banques de Turquie : « Le programme de désinflation progresse selon le plan et sera mis en œuvre avec détermination ». Malgré un contexte international complexe — fluctuation du dollar, incertitude énergétique et conflits géopolitiques — la Turquie tient le cap. Le maintien des prévisions d’inflation de la Banque centrale pour 2025 (24 %) et 2026 (12 %) en est une illustration probante.
Des leviers structurels pour une stabilité durable
Trois facteurs structurants soutiennent cette trajectoire : des conditions financières plus strictes, une baisse significative des prix du pétrole, et un affaiblissement du dollar. Ces éléments conjugués contribuent à un repli progressif de l’inflation. En avril, le taux annuel d’inflation est tombé à 37,86 %, son plus bas niveau depuis décembre 2021. La Banque centrale, bien qu’attentive à l’évolution des anticipations, note une réduction notable du transfert des variations de change sur les prix.
L’adhésion progressive des marchés… et des ménages ?
Les anticipations d’inflation à 12 mois des acteurs de marché ont légèrement reculé à 25,1 %, signe d’une confiance accrue dans le pilotage économique. Pourtant, du côté des ménages, la perception reste prudente : leurs anticipations sont passées à 59,9 %, bien au-dessus des estimations institutionnelles. Cette dichotomie reflète une inertie psychologique que seule une stabilisation prolongée pourra corriger. Cependant, la proportion de ménages anticipant une baisse de l’inflation augmente lentement, ce qui constitue un signal encourageant.
Vers un nouvel équilibre entre croissance et discipline
La Turquie accepte aujourd’hui une croissance plus modérée, consciente qu’elle est le prix à payer pour une consolidation durable. Lors d’un panel de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), Şimşek a déclaré : « La croissance est plus lente, mais nous pouvons vivre avec cela ». L’objectif est clair : maintenir le déficit courant en dessous de 2 % malgré des recettes fiscales en deçà des attentes. L’investissement étranger progresse, les réserves augmentent, et les politiques de rigueur redonnent de la crédibilité aux marchés.
Confiance, stabilité et ouverture : la Turquie en mutation
Les perspectives s’éclaircissent également du côté géopolitique. Les efforts diplomatiques autour de la Syrie, de l’Ukraine, et la possible dissolution du PKK pourraient transformer la géopolitique en levier économique. Pour Şimşek, cette conjoncture pourrait même « aider la Turquie ». Enfin, la Banque centrale, par la voix de son vice-gouverneur Osman Cevdet Akcay, insiste sur l’importance d’une politique monétaire rigoureuse pour éviter un atterrissage brutal. L’évolution des comportements de prix, soutenue par une confiance renforcée dans la stratégie économique, pourrait accélérer la désinflation sans casser la dynamique interne.
Conclusion
La Turquie semble avoir tiré les leçons de ses expériences passées. En plaçant la prévisibilité, la transparence et la rigueur au cœur de sa politique économique, elle renoue progressivement avec la confiance des marchés. Ce pari sur le temps long, dans un monde instable, pourrait s’avérer payant — à condition que la cohérence politique et institutionnelle accompagne cet effort sans faille.