Cannes — C’est une absence qui, malgré le tapis rouge, crève l’écran. Théo Navarro-Mussy, jeune acteur en pleine ascension et tête d’affiche du film Dossier 137, ne foulera pas la Croisette cette année. Non pas par choix artistique, ni par conflit d’agenda, mais en raison d’accusations graves portées à son encontre par trois anciennes compagnes, qui l’accusent de viol et de violences psychologiques.
Une décision prise, selon ses mots, « pour ne pas nuire au film et à ses équipes ». Mais aussi un signal fort dans un paysage culturel où l’image publique d’un artiste ne peut plus être dissociée des interpellations éthiques qui pèsent sur lui.
Une affaire sensible, un retrait volontaire… mais sous pression
Le Festival de Cannes, qui s’efforce depuis plusieurs éditions d’articuler excellence artistique et vigilance morale, n’a pas officiellement commenté l’affaire. C’est la production du film Dossier 137 qui a acté, en accord avec l’acteur, la discrétion de celui-ci durant la quinzaine. Un compromis, en apparence. Mais qui dit beaucoup du nouvel équilibre – fragile – entre présomption d’innocence et exigence de responsabilité dans l’espace public.
Théo Navarro-Mussy, révélé dans le cinéma d’auteur français et salué pour son jeu intense et physique, voit sa carrière suspendue à une double temporalité : celle de la justice, lente et prudente, et celle de l’opinion, immédiate et tranchante.
Un film sans visage, une promotion sous tension
Dossier 137, signé par un réalisateur habitué des sélections parallèles, explore les méandres de la mémoire et de l’identité dans une France avec violence policière. Ironie tragique : le film, politique et nerveux, traite justement des tensions entre vérité intime et récit collectif. Privé de sa figure centrale, le film se retrouve amputé de son visage, mais pas de sa parole.
La production insiste sur le fait que le travail de l’équipe ne doit pas être éclipsé par une affaire personnelle. Mais Cannes reste Cannes : l’absence de Théo Navarro-Mussy est au cœur des conversations officieuses, entre indignation feutrée et prudence embarrassée.
L’art peut-il encore séparer l’œuvre de l’homme ?
La question, désormais classique, ressurgit avec force : peut-on distinguer l’artiste de ses actes présumés ? Et si l’œuvre est collective, comme c’est le cas pour Dossier 137, doit-elle être pénalisée par les accusations pesant sur l’un de ses membres, fût-il central ?
Le débat, qui traverse le monde du cinéma depuis #MeToo, ne trouve pas de réponse univoque. D’un côté, la nécessité de protéger les victimes présumées, de prendre au sérieux la parole des femmes, de sortir du silence et de l’impunité. De l’autre, la prudence républicaine qui rappelle que la justice se rend dans les tribunaux, non sur les réseaux sociaux.
Le cinéma français face à son propre miroir
Théo Navarro-Mussy ne sera pas à Cannes, mais il est partout. Dans les discussions feutrées des couloirs de l’Hôtel Martinez, dans les plateaux de débats culturels, dans les éditos des revues spécialisées. Son absence devient présence symbolique : celle d’un cinéma qui ne peut plus se dérober à la question de la morale, sans pour autant renoncer à la complexité.
Car il ne s’agit pas seulement de « bannir » ou de « blanchir ». Il s’agit de penser ensemble : le droit, l’art, la mémoire, la responsabilité. Et dans cette tâche, le Festival de Cannes – reflet exacerbé de notre époque – est plus qu’un lieu de célébration : il est aussi, désormais, un espace d’interrogation collective