C’est un simple “non merci”, prononcé en soirée. Une phrase anodine, presque polie. Et pourtant, elle a parfois l’effet d’un mini-séisme dans les cercles de l’amitié : “Je ne bois plus.” Il ne s’agit ni de moraliser, ni de provoquer. Juste d’arrêter. L’alcool, ce liant social si discret qu’on en oublie qu’il structure, depuis des siècles, nos manières d’être ensemble. Alors que se passe-t-il quand on s’en détourne ? Perd-on ses amis avec son ivresse ? Ou découvre-t-on autre chose, une forme plus fine, plus exigeante, de lien ?
La question est moins anodine qu’il n’y paraît. Car dans les grandes villes, dans les milieux intellectuels ou créatifs, l’alcool est souvent plus qu’une boisson : c’est un rituel. Un langage. Il dit la détente, l’abandon, la connivence. Dire non à un verre, c’est parfois comme parler une autre langue dans une tribu unie par le même dialecte. Cela déplace, interroge, voire dérange.
Être sobre, c’est être à la marge. On ne se sent pas toujours exclu immédiatement. Mais l’invitation, parfois, ne revient plus. Non par méchanceté, mais par glissement. Les autres présument qu’on s’ennuiera, qu’on ne “jouera pas le jeu”, qu’on gênera peut-être même. L’alcool, c’est le vernis du collectif. Sans lui, le réel apparaît plus nu, plus cru. Et l’amitié, plus fragile qu’on ne le croit.
Certains s’éloignent. D’autres, au contraire, restent, et révèlent une fidélité moins festive, plus solide. Il n’est pas rare que la sobriété réorganise les cercles : on perd quelques compagnons de nuit, mais on gagne parfois en profondeur de jour. De nouvelles proximités se nouent, hors des bars, dans les cafés clairs du matin, les longues marches, les conversations lucides. C’est une métamorphose sociale autant qu’intime.
Et la solitude ? Elle guette, bien sûr. Surtout au début, quand les soirées se succèdent sans qu’on en soit. Mais elle peut devenir féconde. Moins comme une mise à l’écart que comme un recentrage. Il y a dans la sobriété une forme de silence intérieur qui permet d’écouter autrement — les autres, mais surtout soi-même.
Finalement, arrêter l’alcool, c’est poser une question simple mais radicale à l’amitié contemporaine : qu’avons-nous vraiment à partager, une fois les verres vides ? Si le lien résiste, alors il était réel. S’il se dissout, peut-être n’était-il qu’un reflet dans un fond de bouteille.
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