Il a le regard inquiet de ceux qui savent que le monde ne tient qu’à un fil, et le verbe assuré des idéalistes que la réalité n’a pas encore broyés. À 45 ans, Raphaël Glucksmann s’impose comme l’une des figures les plus singulières – et clivantes – de la gauche française contemporaine. Bobo ? Peut-être. Européen ? Assurément. Mais surtout : engagé, profondément, viscéralement.
Un héritage et un regard tourné vers l’Est
Né en 1979 à Boulogne-Billancourt, dans le sillage du philosophe André Glucksmann, Raphaël grandit dans un bain d’idées, entre la critique du totalitarisme soviétique et les promesses de l’humanisme occidental. Rapidement, il forge son propre regard. Dès les années 2000, il documente les grands conflits de l’Est – Rwanda, Ukraine, Géorgie. “Tuez-les tous !”, son documentaire sur le rôle de la France dans le génocide des Tutsi, sonne comme un premier manifeste : la lucidité est une forme de résistance.
Son engagement le mène jusqu’à Tbilissi, où il devient conseiller du président géorgien Mikheil Saakachvili. Il y défend une vision exigeante de l’État : démocratique, transparent, résolument européen. Ce goût du terrain ne le quittera plus.
De l’essai à l’hémicycle
Rentré en France, Glucksmann tente l’aventure intellectuelle à la française : chroniques sur France Inter, direction du Nouveau Magazine Littéraire, publications engagées (Les Enfants du vide, Notre France). Mais le champ médiatique ne suffit plus. En 2018, il cofonde Place publique, une tentative de réunir les fragments d’une gauche éclatée autour de l’écologie, de la justice sociale et de l’idéal européen. L’initiative séduit le Parti socialiste, exsangue après 2017, qui voit en lui un passeur entre générations.
Le pari fonctionne : en 2019, leur liste commune obtient 6,2 % aux européennes. Glucksmann fait son entrée au Parlement européen, où il devient l’une des voix les plus actives sur les questions de droits humains, d’ingérence étrangère et de politique étrangère.
Une voix, des causes
Raphaël Glucksmann n’a pas peur de prendre parti. Pour l’Ukraine, pour Taïwan, pour les Ouïghours, contre l’impunité des géants numériques. Sa parole, parfois jugée trop atlantiste, tranche dans un espace politique souvent tiède. Il dérange les cyniques, interroge les indifférents. Il parle de l’Europe comme d’un projet inachevé, fragile mais nécessaire.
Son engagement pour les Ouïghours – qui lui vaudra d’être sanctionné par Pékin – l’inscrit dans une tradition universaliste souvent délaissée à gauche. Il est de ceux qui refusent de hiérarchiser les oppressions. Ses adversaires l’accusent d’en faire trop. Lui répond qu’il ne fait que regarder le monde avec les yeux ouverts.
2024 : la confirmation
Lors des élections européennes de 2024, il double son score : 13,8 %. Une surprise pour les commentateurs, un espoir pour une frange de l’électorat orphelin de projet. Le succès de Glucksmann tient peut-être à cela : il n’a pas de cynisme. Ni posture d’homme providentiel, ni reniement de ses valeurs. Il incarne une gauche qui ne renonce pas, même si elle doute.
Un bobo ? Peut-être, mais exigeant
Glucksmann est parfois moqué pour son style. Trop propre, trop rive gauche, trop sûr de lui. Mais derrière l’image, il y a du travail, de la cohérence, et une certaine forme de courage. Dans un paysage politique saturé de slogans vides et de calculs froids, il oppose une forme de romantisme politique – celle qui croit encore que les mots ont un poids, que l’action publique peut changer les choses.
Raphaël Glucksmann est un bobo, oui – mais un bobo qui lit Hannah Arendt, qui refuse l’indifférence, et qui préfère les convictions à la popularité. Dans un monde qui se cherche des repères, il propose une boussole. À chacun de décider s’il veut la suivre