Paris — Bruxelles — C’est un front à la fois discret, élégant et profondément politique qui prend forme en Europe autour d’un combat aux accents de dignité humaine : interdire enfin, partout et sans exception, les dites « thérapies de conversion », ces pratiques pseudo-thérapeutiques visant à modifier ou « corriger » l’orientation sexuelle ou l’identité de genre des personnes LGBTQIA+.
Si plusieurs pays, comme la France ou l’Allemagne, ont amorcé ces dernières années des législations partielles ou sectorielles, la pression des militants, associations et artistes ne cesse de croître pour obtenir une interdiction à l’échelle européenne, sans dérogation, ni dans le privé, ni sous couvert religieux.
Ces dernières semaines, la mobilisation a pris un visage plus public, plus incarné, lorsque des artistes et figures médiatiques emblématiques — de la chanteuse Angèle au jeune prodige pop Pierre de Maere, en passant par Eddy de Pretto, Gabriel Attal, Manon Aubry ou encore Marie Papillon — ont signé une tribune commune exigeant un cadre législatif clair et intransigeant contre ces pratiques qu’ils qualifient de « violences symboliques et physiques insupportables dans une Europe du XXIe siècle ».
Un mouvement où la culture devance la politique ?
Ce front inédit où se côtoient artistes pop, personnalités politiques progressistes et figures queer issues des réseaux sociaux dessine une scène où la société civile précède et bouscule les cadres politiques classiques. En France, où le texte d’interdiction est encore jugé trop timide et sans moyens de contrôle effectifs, Gabriel Attal a réaffirmé son soutien à une législation plus musclée, rappelant que ces pratiques n’ont « aucune place dans une démocratie mature ».
Du côté des sphères culturelles, Angèle, devenue icône malgré elle d’une jeunesse européenne en quête d’inclusivité et d’égalité réelle, assume son rôle de porte-voix, mêlant engagement personnel et esthétique pop acidulée. Pour Pierre de Maere, la bataille est aussi générationnelle : « Nous ne pouvons plus accepter que des jeunes soient mutilés psychologiquement parce que certains États tolèrent encore, à bas bruit, ces violences travesties en soins. »
Une Europe fracturée sur les droits LGBTQIA+
Car si l’on célèbre volontiers la France, la Belgique ou l’Espagne comme des vitrines du progrès social, la réalité européenne demeure profondément contrastée. Dans plusieurs pays d’Europe centrale ou orientale, ces pratiques restent non seulement légales, mais parfois encouragées par des autorités locales ou des organisations religieuses puissantes.
En Hongrie, en Pologne ou dans certaines communautés conservatrices d’Allemagne, les militants LGBTQIA+ dénoncent une recrudescence de ces “thérapies” — souvent exercées dans des cadres opaques, loin des regards publics — alimentées par une rhétorique réactionnaire qui accuse l’Europe d’avoir cédé à “l’idéologie du genre”.
Une bataille culturelle et symbolique autant que juridique
Au fond, ce mouvement européen pour l’interdiction des thérapies de conversion agit comme une scène où se rejoue la bataille plus large des récits collectifs : celui d’une Europe des libertés, face à une Europe des replis identitaires et religieux. Dans cette guerre des représentations, les artistes queer ou allié·e·s occupent désormais un rôle central, investissant l’espace public, les festivals, les réseaux sociaux et même les plateaux télévisés comme autant de scènes militantes.
Eddy de Pretto, par exemple, revendique cette posture d’artiste-passeur, capable d’installer ces sujets dans des territoires artistiques souvent réticents à aborder de front les violences subies par les minorités sexuelles et de genre.
Vers un engagement législatif européen ?
À Bruxelles, plusieurs eurodéputés, dont la Française Manon Aubry, ont promis de porter ce combat devant le Parlement européen, exigeant une directive contraignante interdisant ces pratiques sur l’ensemble du territoire de l’Union. Pour eux, il ne s’agit plus seulement d’une question de santé publique ou de droits individuels, mais d’une ligne rouge éthique, au cœur de ce qui fonde le projet européen lui-même.
Dans une Europe travaillée par ses propres démons identitaires, la mobilisation contre les thérapies de conversion devient ainsi un marqueur politique fort : celui d’une génération et d’un espace culturel qui refuse que les corps et les vies LGBTQIA+ restent les variables d’ajustement des vieilles guerres idéologiques.
Un combat de dignité, où la culture devance — et oblige — la politique